QUELQUE PART AILLEURS

Publié par Vent d'Autan le

« La vie est-elle à ma portée ? Ou bien demeure-t-elle inaccessible ? Jim Harrison

Dans la ferveur des souvenirs qui fuitent avec le temps, ne subsiste plus que l’intemporel pour en conserver la mémoire au sortir de tensions incessantes. Reste que la noirceur de la vie a toujours un temps d’avance. Autant ralentir… 

À l’autre bout du chemin détourné finissant sa course à l’orée du bosquet de haies buissonnières, blottie entre les nappes de brumes évanescentes, la silhouette de la vieille bâtisse assoupie entre les songes d’un profond sommeil. Havre de tranquillité patiné par l’empreinte des temps.

Emprunts à la frigidité hivernale, quelques cristaux de givre accrochés aux vastes ramures dénudées. Au cœur de la vie sauvage quand elle se réinvente, créatrice de génie en herbe. Lueurs d’étincelles grisant l’austérité des paysages vibrant au flegme du grand air, insufflé à l’arrière des talus. L’illusion des bois champêtres qui échappent aux poncifs des alentours. Aucun bruit, à part la forêt qui respire autour.

Bordé d’une rangée de frênes pleureurs, en contrebas entre les berges escarpées où serpentent les eaux fuyantes de la rivière,  le frêle murmure de l’onde emplit le silence de la nuit, éclaircie par le fourmillement d’étoiles. Sous les flaques de lune, le ciel baigné de cette clarté crayeuse de mille extravagances célébrées par les peintres et les poètes en vadrouille.

Tout le charme parfois désuet de nos campagnes retirées où s’opère en catimini cette magie de l’authenticité des racines ancestrales. Caractère sacré des versants immortalisés au sein d’insaisissables espaces, affranchis de l’empreinte des temps. Lieux improbables tenus à l’écart de la spirale ensorceleuse des immenses métropoles dénuées d’âme où l’errance colonise la périphérie des villes. En aparté, loin du tourbillon, courant principal de la vie.

Dans l’âtre de la cheminée somnolente, au milieu des cendres tiédies, quelques esquisses de braises en décrépitude. Entre les murs disjoints s’infiltre un filet d’élégance qui magnifie le charme de l’ancien, tout en personnifiant l’âme des lieux. Vestiges d’un passé badigeonné au lait de chaux. En toute simplicité.

Pieds nus sur les foraines qui recouvrent le sol de terre battue, l’empreinte de ses pas marque quelques lignes  imperceptibles, bouffies d’insomnie. À chaque nuit de pleine lune, le néant de choses insignifiantes à tuer le temps. Quand d’autres comptent des troupeaux entiers de moutons, lui, sentinelle des aurores, fait les cent pas à la ronde. Passent les secondes, passent les heures, inexorable illusion qui vous happe au gré d’humeurs volages.

Par ici, fasciné par l’isolement salutaire, on ne peut que s’abandonner à la contemplation de ce territoire merveilleux et à l’écoute attentive du vent venu arpenter les grandes étendues jusqu’à perte de vue. Loin de tout, hors du temps, au cœur des lentes palpitations en proie à leurs primitifs instincts.

Florès de lueurs sans cesse métamorphosées, l’intensité variable de cette radieuse beauté, artiste bohème enluminant les paresseuses étendues en somptueuses aquarelles. Se lever aux aurores pour admirer les promesses de l’aube, véritable privilège des Dieux, vénérable caprice des cieux.

Intimement liés, quand la fin de l’obscur se met en scène au réveil progressif du petit matin. Il n’est jamais trop tard pour s’initier à la vie qui s’éveille, en osmose avec le décor bucolique des éléments. À la magie d’opérer.

Pieds nus sur l’herbe encore transie, tout enorgueilli de cette féerie dont il ne se lasse point, à jamais repus des émotions procurés par la délicatesse de ces instants. Face à l’harmonie du monde, son cœur bat la chamade. Le jour se lève, pour rien au monde il ne raterait cet instant, aussi fugace soit-il. Enjoué, il se surprend à fredonner ce viel air enjoué du temps de sa jeunesse évaporée. Pieds nus, sur la terre sacrée. Au contact de notre nature sauvage.

Catégories : Songes