AUTANT DE LYRES QUE DE DÉLIRES

Publié par Vent d'Autan le

« Il faut rêver pour se surprendre. » Sylvain Tesson

Cette nuit là j’ai rêvé que la tempête s’engouffrait dans cette pénombre de fond de cour. Je n’étais plus qu’un vagabond lointain perdu dans une confusion d’images et de mots, pagaille de songes insensés. Souillé de fange, de chaume et de grivoise débauche, le diable à pied d’œuvre semblait sorti du bois par fausse inadvertance, grisé par la fièvre des parages gothiques. « Pardonnez-moi, je suis arrivé avec le vent ! ».

À travers les planches disjointes de la bicoque qui servait de cabane, piètre refuge d’ermite des grands espaces, cherchant une brèche par où s’échouer, les rafales s’engouffraient  en paquets de sévère froideur, harassant l’ardeur des flammes à réchauffer la solitude du grand lac posé aux confins des terres figées. Le temps semblait suspendu aux caprices de vaines chimères drapées d’étoffes lourdes. Le silence résonnait comme une cloche fêlée.

Effarouché par les rouges nuées du crépuscule, l’horizon, vaincu, courait les mains tendues vers les balbutiements de la pénombre susceptible de forces invisibles à chaque battement de cœur.  Espiègle et turbulent, ce démon si familier me poussait aux comportements les plus obscurs. Pris à partie par les déferlements de cette syncopée précipitée et haletante, le pourtour se mit à tournoyer au sein d’une nature exubérante de pôles et d’hémisphères. À chaque seconde de ce temps dilué dans la fougue des fortunes de mer, mon esprit se dérobait dans un bourbier de confusions peu charitables. À ne plus savoir sur quel pied danser.

Ainsi follement libres les pâles tableaux crépitaient sous les assauts répétés du caractère dionysiaque du génie des lieux, prince des anges déchus qui se démenait comme un diable en boite pour faire tourner la lanterne magique. D’une politesse dédaigneuse, une poignée de lutins à peau de phoques qui erraient de ci et de là, applaudissaient à grand bruit, repoussant le livre des psaumes par ruse céleste.

Par moins trente degrés le paradis givrait à la rigueur du soupirail des épouvantes. Nacré de constellations éparses, par une sorte de sortilège sacré, le ciel haranguait silures à tête de chats et autres coquillages des rives fourbues. Le chaos dansait tel un fétu de paille, ressassant à haute voix le flot des râles dissonants au chevet d’ombres aux abois. Hochant sa tête ébouriffée à travers le spectre des aurores boréales, la voûte se mis à tanguer.

Grains d’orge ou de seigle aromatisés à l’herbe de bison, la vodka coulait à flots sur les nappes de brumes alcoolisées. En un soudain grognement le feu bondit de son âtre en grand désordre. À même le sol engourdi, d’une façon tout aussi étrange qu’irréfrénable, quelques intrépides flammèches, frappées d’hystérie collective, célébraient de façon païenne la chorémanie dansante de Saint Guy.

Inaccessible aux murmures des songes la nuit sombrait corps et âme dans un sommeil d’encre peuplé de cauchemars fangeux, à la lisière des précipices où s’engloutit l’héroïsme des plus cornéliens. Il faisait grand vent dehors et la lune était belle, à l’apogée de ses rondeurs. Me voilà devenu empereur sans envergure repoussant en rêves puérils les berges de cette terre de vadrouille nocturne.

Peut-être me suis-je égaré dans des ces folles rêveries folles, douces et amères. Funambule qui perd le fil de ses pensées. Était-ce un rêve, était ce un songe, à vrai dire je ne suis plus sur de rien, voir pas grand-chose.  Autant de lyres que de délires. Qui a dit que la nuit portait conseil ?

Catégories : Songes