LES CHACALS N’ONT PAS DE CŒUR
« La Nouvelle a sur le roman à vastes proportions cet immense avantage que sa brièveté ajoute à l’intensité de l’effet. » Baudelaire
Ne cherchez pas l’auteur dans les coulisses des prix littéraires ou dans les coursives de grandes émissions littéraires où se faufilent les aficionados de la trame verbale. Lui, d’accoutumée, préfère l’ombre du crépuscule à la lumière crue du zénith. Ce qui n’empêche guère le talent de parfaits inconnus, écrivains aux heures perdues.
Il y a les nouvelles, celles attendues avec grande impatience que la main laborieuse du préposé des postes vient déposer dans votre boite et puis il y a les nouvelles consignées entre les pages d’un pamphlet littéraire. L’écriture de ce genre de lettres n’est point une mince affaire. Pierre d’achoppement sur laquelle bon nombre de virtuoses s’y sont escrimés sans grande prouesse. Presque un exercice d’équilibriste, prouesse de funambule d’entre les mots, virtuose d’entre les vertiges.
Littéraire avant tout, la nouvelle est au roman ce que le court métrage est au grand écran. Brève, concise, ramassée, elle se saisit de l’instant pour le porter en un temps limité où se concentre l’univers au pied des cimes. Microcosme de l’univers des érudits.
Qu’en est-il des stridulations de ce monde, avec ses failles pourvues d’étranges blessures? Propulsées vers des zones floues où la lumière parvient à peine à pénétrer, autant de tranches de vie en sursis, qui au fil des pages filent comme de grands nuages noirs pourchassés par les vents dans un ciel d’orage. Destins meurtris de ces quidams que rien ni personne n’épargnent et que sur un coup de mauvais sort les aléas balayent d’un revers de fatalité. Chassé croisé de personnages réels ou fictifs que chacun pourrait bien croiser sans même s’en apercevoir.
Treize sonnets dont la résonance déchire les entrailles du ciel, portant aux nues cette violence sourde, veule et sournoise qui s’instille jusque dans l’intimité des pores. Uniques et distinctes, chacune d’entre elles se frôlent sans jamais se croiser, puis s’articulent en cette fresque de mosaïques ciselées de main de maître. Orfèvre des mots qui s’évertue à transposer les chroniques de vie soumises au même flux impétueux .
13 nouvelles dans les Éclairs lointains, comme pour les ramener brusquement au monde avant que la foudre ne frappe au hasard. Du côté de la grève, le silence se fait écho des contrariétés, au bord de l’oubli.
13 épreuves de vies cabossées par les mauvais coups à la lisière des éboulis, quand Tous les chemins mènent là bas, en ces territoires inconnus, juste au bout de nulle part. Dépourvu de fol espoir un fragment de monde sous la pesanteur à bout de course.
13 vaines espérances de Retour aux sources d’insondables profondeurs, comme de vieux souvenirs qui auraient mal vieillis. Soudain révélée avec fragilité la fuite en avant. Inévitable crève cœur d’une beauté âpre et rugueuse.
13 visions de destins contrariés, déchus de tout, sans même espérer Une vision homérique. Confusion des temps, labyrinthe des instants. Et derrière lui s’est installé silence, de plus en plus pesant.
13 ombres tenaces, figées par la tourmente jusqu’aux portes de La maison de Saint Malo. Temps gris et brumeux des bords de mer en proie à la tempête. À se glisser entre les failles comme pour être mieux entendu.
13 méticuleuses perspectives à supposer que sans jamais rien changer Tout est bien qui finit bien. Sur le fil du rasoir, dans le brouillard de nuits froides.
13 livres ingurgités en toute frugalité au hasard des rayonnages. À l’innocent les mains vides.Confidences d’un goulu plus lourdaud que misérable dans ses motivations qui se révèlent infiniment plus complexes..
13 illusions perdues dans les contrées désertiques. Prouesses d’éclat de Tonton Félix. Une vie sans concession, ponctuée de dérives et d’excès. Sous la rage du soleil, le désert des affections.
13 promesses de lendemain qui chante. Au dessus des nuages, Un bébé dans les étoiles. Promesses et prouesses du ciel. Pourquoi cesser de rêver?
13 confessions sous forme de manuscrit révélateur. Éditeur maudit, La Mandriboule. Angoisse de l’écrivain en mal de reconnaissance. L’effervescence des mots semblant vidés de leur sens.
13 images pieuses sans grand souci de figures écarlates. Trophée de fraternité échouée. Confrontation au sommet pour Trois petits singes. Raison d’être que d’aspirer à se glisser au sein de cette atmosphère sulfureuse.
13 essences de menthe, de roses, de jasmin, de pistache, de piment, d’orangeraies, de figues de Barbarie, de beignets, de vignes, de sardines, de couscous, de mouton et de dromadaires. Tant et tant d’illusions perdues dans les entraves d’une existence fébrile. Moi, Ali.
13 façons de conjurer les mauvais sort aux limites du possible et du réel, en ce temps imparti où grondent les bruits sourd de notre monde, avec ses fêlures, ses tragédies, ses efflorescences de liberté. Autant de singulières blessures qui pourraient bouleverser le destin d’une vie et de ceux qui passent sans jamais s’arrêter.
Si toutefois les chacals n’ont pas de cœur, les hommes ne sont pas pour autant absous, certaines formes de violence laissent comme un léger goût d’amertume. Au fil des pages se trame cette épopée d’exil, celle d’un profond déchirement lourd à porter, autant de cauchemars qui peut-être bien incarnent ce long chemin menant jusqu’à ses propres racines. La seule façon de revenir sur ses pas pour y retrouver cette inébranlable foi en l’être humain, comme si seuls les mots pouvaient en percer les mystères, soudain révélés avec fragilité.