COMME AU TOUT PREMIER JOUR D’UN SONGE
« Travailler maintenant, jamais, jamais. Je suis en grève. Maintenant, je m’encrapule le plus possible. Pourquoi ? Je veux être poète, et je travaille dur à me rendre voyant.» Arthur Rimbaud
N’avez-vous jamais été traversé par cette vague impression de devoir travailler, encore et encore, pour gagner votre vie ? Devoir- Gagner. Cruel paradoxe qui pousse bien plus loin à la réflexion quant au sens de nos modestes vies de peuple laborieux au sein de ce monde contemporain dévolu à la sacro sainte valeur travail.
N’avez-vous jamais été effleuré par cette même sensation d’ainsi perdre votre temps si précieux soit-il au détriment de vos valeurs les plus essentielles ? À moins que vous n’ayez encore la tête dans le guidon, prêt au sacrifice ultime de l’employé modèle.
Ce temps là, compté, décompté, monnayé, sonnant trébuchant comme le fruit de labeurs de forçats. Ce temps voué au sacrifice de la productivité mercantile et de ses propres enjeux mondialisés. Ce temps volé auquel chacun se plie corps et âme, contraint et contrit, soumis à la drastique règle d’or de la courbe exponentielle du PIB. Ce temps, argent comptable de nos existences emplies d’envies et de frustrations, imbriqué entre inégalités et iniquité. Temps de labeur, temps des pleurs.
Infatigable travailleur pris au piège dans la nasse de ses propres angoisses, besogneux petit hamster cavalant sans relâche dans sa dérisoire roue silencieuse. Que sommes-nous devenus ? Comment avons-nous pu en arriver là, à ce point de rupture avec nos doux rêves d’enfance ?
Productivisme, valeur ajoutée, opérations en bourse, CAC 40, le monde de la finance tourne à plein régime pour sanctifier le veau d’or, symbole de la cupidité universelle. Toujours plus vite, toujours plus haut, toujours plus fort. Mais pour qui et surtout pour quoi ? Pour s’en aller où, sinon droit dans le rempart de nos décombres. À fond de train, du berceau jusqu’au caveau, juste une vie de labeur sans jamais profiter pleinement, sereinement, en attendant que l’heure de la retraite sonne le glas.
Fatigués, harassés, éreintés, agacés, énervés, stressés, tétanisés, au terme de journées d’intense servitude et d’heures perdues dans le dédale d’insurmontables embouteillages, chacun rêvant aux bienfaits d’une part de lâcher prise, puis de s’affaler dans le canapé de nos vies avachies avec ce sentiment de devoir accompli qui vous colle à la peau.
Gagner sa vie, la mise semble bien trop démesurée pour espérer toucher le gros lot. Posez-vous ne serait- ce qu’un instant et écoutez tout autour de vous le marasme ambiant, la petite ritournelle qui chuchote son anxiété : « Je n’ai pas le temps…à quoi bon perdre son temps…quel manque de temps…et si de temps en temps… »
» Si on regardait ça de loin, si on débarquait d’une autre planète et qu’on voyait une population enchaînée à des journées de travail étouffantes payées une misère, pendant que, je prends un exemple, d’autres individus ont quelques apparts qu’ils louent et encaissent des loyers sans bouger le petit doigt, on se demanderait quand même d’une part pourquoi le système est comme ça, si injuste, si déséquilibré. Et puis on se demanderait par quel miracle ça tient. «
Ce travail qui nous coûte notre santé, qui entrave toute forme de liberté et annihile toute capacité à s’émanciper. Devrions-nous subir éternellement la dure loi du marché qui accapare notre capacité à rêver, à musarder, à glander, à ne rien faire d’autre que regarder passer les nuages. Ces choses que l’on nous impose. Ces besoins que l’on nous propose. Le sens de nos vies qui implosent. Toujours plus d’activités pour encore moins d’indépendance. Cynisme d’un aveuglement délirant.
Le travail, tribalium, connu et reconnu comme maladie professionnelle ; alors pourquoi donc s’entêter de la sorte, à user sa vie dans cette sempiternelle course à l’échalote, espérant une once de quiétude et d’oisiveté en ces espaces aménagés au bord de plages bondées de corps rompus, emprunt à un temps de vacuité avant de reprendre le fardeau d’un quotidien ravaudé de papillons noirs et de spleen baudelairien.
Tous actifs, tous productifs, assujettis à cette débauche d’énergie qui pourrait être employée à de bien plus nobles causes : partager, échanger, aider, soulager, alléger, réconforter, encourager, profiter, prendre soin, de soi et des autres, espérer un brin de répit, profiter pleinement, de sa famille, de ses proches, de ses enfants, de la vie quoi ! Et s’il était temps de s’en défaire ? Ralentir. Véritable manifeste, pour tous et pour le bien -être de l’humanité. Le droit à la paresse.
« Nous ne subirons plus le temps. Nous n’en serons plus les esclaves. Nous ne laisserons plus le travail nous imposer sa loi. Nous ne serons plus des fourmis laborieuses, pressés, empressés, compressés, enfermés dans des rythmes choisis par d’autres ! Nous irons à notre rythme, à notre vitesse, à notre course si nous le voulons ! Le temps de notre vie sera notre temps. Uniquement le nôtre ! »
Et si dans un futur proche, aux prochains scrutins de 2027, Émilien Long, prix Nobel d’économie française venait à déposer sa candidature pour une société du temps libre, du partage, de la décroissance. Lui, le candidat de la paresse, promu à l’élection présidentielle. Avec un objectif ambitieux : s’extirper d’un productivisme morbide pour se réapproprier le simple bonheur de vivre. Paresse pour tous, voici venu le temps de vivre. La liberté de penser un autre possible. Politique fiction, friction politique.
» Oui, le droit à la paresse est un droit humain fondamental, c’est ce que voulait dire Paul Lafargue et c’est ce que je dis à sa suite: le but principal des individus de nos jours ne devrait pas être de chercher du travail mais bel et bien de chercher du temps libre. Et ainsi notre monde, notre société tout au moins, pourra changer radicalement. Ni une réforme, ni une révolution, simplement un retournement de paradigme. Le doit. À la paresse. Au XXI° siècle. C’est parti! »
Marre de ces piètres débats stériles à grands coups de sornette, à agiter le chiffon rouge de l’épouvante et de l’effroi. Marre de ces divisions prosélytiques jonchées de dévotion et d’aveuglement. Marre que l’on nous prenne pour des cons juste bons à cajoler une fois tous les cinq ans. Marre de toute cette caste de moribonds avides de puissance et d’autorité, tous prompts à nous promettre du sang et des larmes. Marre de cet arc républicain qui ne décoche plus aucune flèche d’espérance et derrière lequel s’abritent les plus fallacieuses promesses passementées d’oripeaux. Marre de toute ces mêmes figures de mode empesées de cynisme acéré. Marre de toute cette mascarade qui n’a que trop durée. Marre… Il est temps de renverser la table!
» LE TEMPS DE VIVRE. Émilien Long 2027. C’est simple: ça ne ressemble pas à un slogan politique. Ça ressemble à une phrase qui ne s’applique pas uniquement au candidat, mais à tout le monde. Ça ressemble à plus qu’une croyance, plus qu’un espoir: ça ressemble à ce qui devrait advenir. »
Pour sur qu’avec tel programme de bon aloi, je me déplacerais, illico presto, pour glisser mon bulletin dans l’urne, sans devoir me pincer le nez à devoir choisir entre peste et choléra. Avec ce sentiment de devoir accompli, citoyen à part entière, fier de son libre arbitre. Pour les miens, pour les autres et pour le bien être de notre avenir en commun. Un autre monde est possible, tout reste à réinventer, à réenchanter. De quoi repenser notre société. De quoi nous réconcilier avec une politique ambitieuse, digne de ce nom. Rien d’une fiction d’hurluberlu écervelé. Utopie, poésie, prémisses d’un nouveau récit.
« Une révolution pacifique où parce que l’obligation de travail tombe, la société tout entière se met en mouvement : en libérant du temps, on libère en réalité la possibilité pour les gens de faire des choses, de se consacrer à des choses. À vouloir changer la nature même du système dans lequel nous évoluons. »
» Nous voulons changer le monde! Nous pouvons changer le monde! Car! nous! sommes! le monde! »