DANS LES SILENCES DU CASTELVIEL

Publié par Vent d'Autan le

Celle qui passe inaperçue © Vent d’Autan

Affranchie de la complainte des temps, au fil de l’instant elle s‘est laissée apprivoiser par la tessiture des mots. Le miracle de la vie réside dans le regard d’une femme.

Assise à la terrasse du café, elle se contente de peu, juste regarder filer les nuages à travers le bleu du ciel, vibrant azur du pays des songes. Malgré la fraîcheur timorée du fond de l’air aux accents  polaires, les tous premiers rayons printaniers, bien trop timides pour une prime sortie, réchauffent plus les cœurs transis de givre que les corps frissonnants.

Il flotte comme un léger parfum d’insouciance, un imperceptible brin de retour aux tumultes de la vie. Aux alentours, arbres, arbustes et jeunes arbrisseaux bourgeonnent et boutonnent à qui mieux-mieux, parés de leurs plus beaux atouts pour la grande farandole, tandis qu’aux quatre coins des entourages, un mirifique festival floral incendie les moindres recoins surlignés d’accents botaniques. Le sacre printanier redonne couleurs festives et ardeur compulsive  à la longue léthargie hivernale, mettant un terme à cet épisode d’hibernation collective. Exaltation de la renaissance de la belle saison.

Dans un silence quasi monacal, fidèle compagnon d’infortune, avec infime minutie elle  scrute le flux discontinu des allées et venues de chacun des passants qui traversent le périmètre du champ de vision de son paysage quotidien. Anonyme inconnue que presque plus personne ne remarque. Certains intrépides en bras de chemise bravent hardiment les derniers frimas de l’hiver, d’autres engoncés jusqu’aux bout des oreilles  sous de multiples couches d’épaisseurs.

Beaucoup plus insolite et anecdotique en cette période de précocité hâtive, palpitante de vitalité, une belle ingénue en nu-pieds, délice de malice à bousculer l’entre deux saisons de ses belles joues écarlates de pudeur enfantine. Drapé de voiles de brumes, un ange tombé des cieux en flottaison dans le souffle des courants d’air.

Sur la grand place, la fontaine rafraichie pour la célébration nouvelle, vient à peine de retrouver le grand éclat et la splendeur de son décor de féerie. De toutes parts, l’eau, source de jouvence, jaillit en flèches intrépides, lancées à l’assaut du ciel jusqu’à tutoyer les sommets de feux d’artifices, avant de retomber graciles, en gouttelettes de pluie fine sur le parterre de jaspes de granit. Quelques volées de moineaux et autres pioupious intrépides viennent s’y ébrouer dans un concerto de piaillements hauts perchés.

C’est dans la candeur de ces moments privilégiés qu’elle savoure la douceur immaculée de chaque instant, s’enivrant de cette particule d’espace de lucidité, véritable havre de paix à l’intensité accrue. Vertueux privilège de ceux qui prennent le temps de se poser au point d’apprécier la moindre parcelle de ces petits riens insignifiants, au point de sublimer ce temps immobilisé au bord des rouages ; malgré l’enchevêtrement dédaléen du monde qui, à bride rabattue, s’essouffle de tous bords.

A cet instant précis, à cet endroit particulier, une parenthèse enchantée qui déploie sa draperie de pointillés, en suspension au bord de l’impasse. Une bulle d’allégresse, enclave sacrée au cœur de la liesse galopante des foules frénétiques. L’inspiration d’un art de vivre et de bien être, fruit d’une longue quête intérieure où l’habitude devient transparence jusqu’à percevoir le noyau vivant de la réalité.

Sur le cadran de son antique montre à gousset, les aiguilles figées sur la mesure du temps, héritage de ce grand-père, témoin de grande sagesse d’une époque désormais échue. Son esprit vagabonde à rebours, en ces contrées lointaines qu’elle aime tant explorer, voyageuse immobile, navigatrice solitaire. L’écoulement des jours lui semble révolu à toute contrainte d’action.

Sortant de sa bulle contemplative, baroudeuse des mots, elle reprend la mine de son crayon de bois, traçant sur une nouvelle page vierge de son fidèle carnet à spirales, quelques tranches de vie empruntées, clichés de traces d’écume qui plus tard donneront trame à quelques bribes de poésie, faisant jaillir un flux de pensées inachevées dans le sillage des lieux. Un baume pour l’âme des songeurs. Ainsi fuite le temps qui parfois s’écoule en un long fleuve tranquille. A l’orée d’un nouveau chapitre, il est toujours possible de retrouver cette petite lumière, étincelle de vie.