COMME UN INSTANT D’ÉTERNITÉ

Publié par Vent d'Autan le

« L’éternité n’est guère plus longue que la vie. » René Char

« Fuir ! Là -bas, fuir. » Mallarmé 1893

Entourées  d’autant d’épaisseur de mystères, les traces laissées par la disgrâce du poète se disséminent dans le lacis de ses vertigineuses errances. Dilapidant son génie en folles enjambées sur les chemins d’un exil expiatoire, selon le lieu ou l’agitation  qui ont ébranlés son ardeur chacune de  ses cavalcades ont transformé le monde par l’effusion de sa trame poétique. Au large, le désordre de ses pas, reclus dans l’obscurité.

« Je vais acheter un cheval et m’en aller. »

Sobre, irrévocable, libératoire. À pied ou à cheval, illustre moribond, corps perdu et âme défunte, tête nue il s’aventure en ces contrées inhospitalières en quête de l’Éternité échouée sur les grèves de la mer rouge mêlée à l’âpre soleil d’Harar. Mordre la poussière, pourchasser les reflets de cette opaque attraction, se glisser dans les failles d’Illuminations, s’abîmer dans le néant de pays brûlés jusqu’à l’os, s’absoudre des filets en saillie à l’aube des temps. Tout va trop vite, trop loin, au bout de la ligne d’horizon s’effacent de vaines déchirures. Sans trajectoire, sans traces, sans pouvoir s’égarer, le regard vers d’autres rives. Une saison en enfer.

« Allons ! La marche, le fardeau, le désert, l’ennui et la colère. » Mauvais sang

Sur l’affiche aux couleurs estompées, son patronyme en lettres capitales, promesse de providentielle rencontre. Pas question de rater ce pieux rendez-vous en Rimbaldie. Plongé dans la pénombre dont raffolent les tréteaux de fortune, d’un faisceau de lumière placide fuse l’Alchimie du verbe. Estampillé « Seul en scène » le spectacle se pare d’envoûtantes postures tenaillées par l’ingénuité d’une silhouette évanescente. Entre les anfractuosités plane l’ombre du Voyant surgi des entrailles des limbes. Visage d’ange dans le creux de l’éphémère.

Multipliant les interventions, par l’entremise du scénario le comédien diversifie les rôles endossant tour à tour postures et mimiques de chacun des spectres revenus de l’Aube, somme toute débarrassés de leurs silences. Adoubé d’une aisance sans faille sous les yeux ébahis prend vie cette féerie d’un soir. Sous multiples facettes le virtuose revêt le masque théâtral jusqu’à s’identifier à la persona de chacun et à l’incarner pleinement. Par sincères subterfuges il se saisit et s’empare de la nature vraie des individus. 

Proche de la possession, peu à peu le voilà subjugué par l’identité de son personnage, perpétuel va-et-vient entre ce qui existe au plus profond de nous, ou plus ignoré, et sa projection, vers le public conquis. Parée de telles précisions autobiographiques la dimension scénique devient terreau d’hallucination, immersive, collective. De manière extrêmement fluide, par la fougue des protagonistes on voyage dans le temps. Peu à peu la poésie s’insinue dans la trame du vivant. Au seuil du crépuscule où claironnent les sonnets de ses divagations, les pas de l’errant tôt survenu. Rumeurs de Bohème.

 » Je finis par trouver sacré le désordre de mon esprit. » Saison

Aphorisme, apophtegmes, Ithyphalliques et pioupiesques, facétie de voyelles désarticulées,  abracadabrantesques  élucubrations — le cœur volé — chaque vers retombe nu à nos pieds. Au bout de tant d’étincelles où perce la nuit bercée par le ciel vide, l’éclosion de la pensée. Dérèglement de tous les sens.

Bien trop à l’étroit, l’artiste en verve repousse les murs, bouscule l’entendement. Saisi de soubresauts, allant et venant en tous sens, voilà qu’il virevolte à tous les vents de l’esprit, papillon effarouché à l’arrière de persiennes closes. D’arrache-pied il martèle le tempo, scande les mots, saccade la syntaxe, laboure le chant lexical où la matière et l’esprit se livrent perpétuelle bataille.L’imaginaire emprunté aux mirages, ardemment diaprés d’incertitudes.

Dispersé face à  nous les mots déploient leur zèle. Nous levons les yeux croyant fuir vers l’aube. Dans la proximité du fleuve les regards se cognent contre l’horizon. Lentement le vagabond ramasse sa correspondance d’Abyssinie. Lui qui poursuivait le salut dans la lumière n’a aperçu que chimères enchâssées dans les ombres. Marcher encore, cheminer au loin, fuir sans cesse. Semelles de vent.

« J’écrivais des silences, des nuits, je notais l’inexprimable. Je fixais des vertiges. » Alchimie du verbe

Rimbaud, cavalcades!