CHUCHOTE MOI TA POÉSIE

Publié par Vent d'Autan le

« Je ne sais par où commencer pour te dire combien je suis ravi de ton livre, sanglots des violes séraphiques, frissons de plumes et d’étoiles, enfin paradis d’azur et voie lactée de larmes » Stéphane Mallarmé

Tout commence par une page blanche, réduite à l’essentiel, sobrement mise en scène en un décor feutré. Candide et virginale. Reflet d’un champ de neige, immaculée en son écrin. Univers lacté dépouillé de toute trace de passage, d’empreinte de semelles de vent, de marques à la craie sur un tableau noir de Soulages. Variation de vertiges, de silhouettes, d’ombres et de mystérieuses visions.

Carnet à spirale, crayon gomme à mâcher, minerai de graphite, stylo bille ou porte plume d’écolier. Rond de cuir et encrier. Système D. Plume d’ange, frissons d’ailes. Sur le papier des insomnies, l’errance de la nuit. Bloc- notes. Confidences, complicités, instantanés. Toutes griffes dehors pour un nouvel corps à corps en ces paysages silencieux effacés dans l’échancrure nocturne. Tenter de s’approcher au plus près du démon de l’écriture, conjurer les fantômes des poètes bannis, maudits soient-ils.

Folle envie de ratures et d’écriture, promesse d’aventure à déguster au fil des cursives. Quelque chose qui provoque une sensation d’instabilité, qui bouscule l’entendement, qui laisse cet impérissable souvenir d’émerveillement. Poésie de l’instant suspendu au geste du gratte papier, jongleur de syntaxe, funambule des lignes, saltimbanque des rimes, baryton du chant lexical. Impulsivité, les mots ne peuvent pas tout dire, tout traduire. Noble art. Monter sur le ring. Boxe, boxe.

Jusqu’ici rien n’a changé, les mots se content de peu, voir du minimum syndical. Aux poètes aguerris d’en parcourir l’étendue mystique. Piocher au hasard, en saisir un au cours d’une balade et avec grande délicatesse le poser à l‘encre de ses vœux. Voilà comment sur la page il fait tache, éclaboussure sur papier replié. Chacun y  perçoit la forme de ses propres songes, première impression qui vient à l’esprit.

Un mot en épelle un autre, tombé à la renverse. À eux deux ils forment déjà un duo improvisé, modeste paire de copains ou de brigands, association de malandrins, détrousseurs d’esquisses. Puis un troisième larron venu jouer les trouble-fête, jusqu’à s’entortiller par son extravagance. Devant, derrière ou bien entre deux, le choix devient crucial, critique. Clopin-clopant. Couci- couça. Morceaux d’une phrase possible. Amorce d’un mouvement organique dédié au grain de papier, brouillon d’horizontales à géométrie variable.

Fil de crin sur lequel viennent s’entortiller ces quelques mots, piégés en guise d’appât, frétillant au bout de l’hameçon. Chapelet de vers pour pêcheur de ligne. Ligne dormante hameçonnée sur fonds sableux. Ligne volante, sur fonds de roche. Pescalune, pêcheur de lune au cœur d’un marais sauvage, inhospitalier. Point à la ligne. Points suturés, lignes abrégées. Étoffe de traits de plume. Canevas de lambeaux du monde.

De part sa subtilité, l’ouvrage ne se lit pas entre les lignes, grâce à elles s’harmonise un poème en noir et blanc. Trame en vers ou en prose. Le temps s’arrête ici, entre rêve et réalité. Juste faire souffler le vent de l’envie. Assoupi entre les ornements drapés de la Muse des belles lettres, lui susurrant ces quelques mots d’emprunt : « Chuchote-moi ta poésie… »

Catégories : Poètes