QUAND ON A DES VISIÈRES….

Publié par Vent d'Autan le

Gao Xingjian

Il y a des mots qui fâchent l’opinion publique, quoique l’on dise et quoique l’on fasse, certaines associations d’idées sont inévitablement convenues, elles vous sautent aux yeux comme un tir de flash-ball en plein cœur de manif ! Les violences policières ont la peau dure, on ne regarde pas le ciel!

Il avala un café, froid, insipide, sans saveur, sans odeur, à peine décaféiné. Pas le temps de le faire chauffer. C’était le seul breuvage de fortune qu’il pouvait avaler sans sourciller pour se donner du cœur à l’ouvrage. Il scrutait d’un œil morne ce fichu réveil qui avait oublié de sonner le rappel en fanfare. 3 heures 30, le tic-tac égrenait le silence de la nuit, tandis que les rêves bordaient le sommeil de la maisonnée, qui elle, dormait à poings fermés.

Il aurait voulu passer une nuit entière sous la tiédeur de la couette à dorloter sa dulcinée et à savourer ces rares instants d’intimité, mais son temps, précieux et prédestiné, lui était compté, le devoir l’appelait au service de la nation, sans aucun droit de réserve, au lointain de son havre de paix, quelque part du côté des barricades. Il enfila son costume de circonstance, tout en s’assurant de ne rien oublier, comme souvent à l’accoutumée quand son esprit vagabondait à la cime des crêtes. Engoncé dans son harnachement de guerrier Ninja, il se sentait paralysé, prisonnier de cette armure qui meurtrissait ses états d’âme. La boule au ventre, il franchît le pas de la porte pour s’immerger dans le froid glacial de l’hiver.

Les images se brouillaient en trouble fête, il s’en voulait de ne pas avoir pu embrasser ses chères petites têtes blondes avant de s’en aller au chaos. Un immense sentiment de solitude vint lui rappeler le regard désobligeant de son ado qui le toisait d’un œil noir. Leurs relations étaient devenues de plus en plus contrariées  au vu de la complexité des évènements des derniers temps. Face à cette défiance filiale, il perdait pied, son aura s’était ternie, voir salie, trainée dans la boue des immondices. Les images de violence qui tournaient en boucle sur les médias avaient entachées sa prestance et mis à mal son idéal républicain.

« Je jure d’obéir à mes chefs en tout ce qui concerne le service auquel je suis appelé, et dans l’exercice de mes fonctions, de ne faire usage de la force qui m’est confiée que pour le maintien de l’ordre et l’exécution des lois. » Obéissance et abnégation, fier de ses convictions les plus profondes, il avait prêté serment sans sourcilier, déterminé à servir la nation dans l’accomplissement de sa mission officielle de gardien de la paix. Certes quelques nuages obscurs étaient venus entacher ses principes vertueux, depuis plus d’un an les missions s’accumulaient dans un rythme effréné devenu insoutenable.Une spirale négative de violence inflexible,doublée d’une cascade de répression sauvage à l’encontre des citoyens l’avait acculé au bout de cette imposture frappée de cécité politique.

Le cœur n’y était plus, il cherchait un sens à ce qui n’en avait plus. Les ordres cyniques et cruels d’une hiérarchie retranchée dans son bunker feutré, bardé d’une armada d’écrans multiplexés, les postures belligérantes d’un ministre improbable au verbe délirant et défiant, l’ombre machiavélique d’un préfet, casquette vissée sur la tête, souriant de ses massacres, hurlant devant la foule dans la communion du délire. Les heures d’attente la peur au ventre, les traques cyniques, les insultes, les jets de pavés, les gaz comme au temps des tranchées, les coups de matraque qui pleuvent, les déflagrations assourdissantes des grenades qui arrachent des mains, une bien sale besogne qui crève les yeux !

La foule, la folie, la furie, l’affrontement sans foi ni loi, le chaos, le désespoir, la rage, la haine et cette insupportable envie de meurtre qui vous saute à la gorge et vous étreint à perdre pied, l’escalade de la désolation hurlante, de la détresse infernale, comme si le monde sombrait dans les entrailles de l’Enfer. Pris au piège de cette haine implacable, prêt à  basculer dans les tourments du néant et de la désolation, un éclair de lucidité traversa l’inextricable, il était au bout de cette infamie, il fallait que ça cesse !

Un regain de violence vint alimenter le déchainement de l’arsenal répressif jusqu’à ce point d’acmé quand l’être humain transperce les extrêmes. L’ordre fût donné de charger sans sommations, dans un déchainement de violence gratuite, le discours de la méthode. L’assaut âpre, rude et brutal de la force armée en proie à la liesse collective. Au travers de son armure, un éclair traversa l’écorce de ses oripeaux. Poussé par une force obscure, il déposa son bouclier sur l’asphalte, mit un genou à terre, puis deux, il fallait que ça cesse…

Enfin il ôta son heaume de protection, tête nue face à la foule, les bras en croix. Un bref instant de grâce en ces lieux d’éruption. Au travers de ce geste désespéré, débarrassé de cette triste vilenie, il retrouvait l’homme qu’il avait toujours été, enfiévré de la grande folie de l’espoir qui anime tout être au sein de la vie. Enfin en paix, avec lui-même et avec cette foule qui défendait si chèrement sa dignité bafouée. Au bout de l’exode, il avait retrouvé le chemin de sa Liberté, celle d’être Soi.

Alors que la bataille faisait rage, un pavé vient entacher cet acte de foi insensé, face au déferlement de la foule il gisait sur le macadam rouge sang. Les guerriers de l’Apocalypse déferlaient en masses sombres comme des vagues à l’assaut de la falaise. La Passion par dessus les abimes impénétrables. Dans les arcanes de l’Humanité, y eut-il un temps où les hommes furent des Sages ?

« Il faut que quelque chose advienne dans ce lieu où il est. Il faut que soit franchi l’impossible. Il faut que soit habitable l’insoutenable. Il faut que ce qui n’a pas lieu d’être soit. » Maurice Bellet

Catégories : Politique fiction