PARENTHÈSES

Publié par Vent d'Autan le

« Derrière toi, quelqu’un rappelle les visages perdus dans l’obscurité. » Hélène Dorion

Soudain à l’écueil de la nuit, sans grand bruit une étoile s’est décrochée de son firmament. Perclus dans la torpeur nocturne, l’écho de son sillage drapé de tulle pourpre. Surgi d’entre les silences d’autres mondes le chœur des Muses entame a cappella l’hymne de brûlantes passions.

D’ores et déjà, au clapotis des flots se mêle le murmure d’une sirène venue  clamer son obsédante mélopée. Diffus à travers les dunes l’attrait fugace de l’élégie emprunte de mélancolie. Pâle silhouette évaporée parmi les éclats d’aurore, hissant à la providence du ciel le trouble de ses prunelles embuées. Au lointain l’horizon sans fin, le grand large où s’épuisent les songes au-dessus du vide. Contours flous et chancelants.

L’amour offrait l’éternité à cette image de la plage ensoleillée.

Brisures sur le bord de grève, fragilité ébréchée. D’où vient cette ombre furtive échappée de son âme, égarée entre les failles de l’absence ? D’un jour à l’autre elle entrelace les fils de l’infini sans jamais laisser de traces. Comme si en réalité il ne s’était rien passé, dépossédée de cette grâce sans retenue, de ces flamboyants instants où bascule l’épure des jours. Sans se retourner, à pas perdus, le vent couvert de poussière.

Appuyé contre le ressac des marées, son ébauche se soulève et s’ébroue dans la houille bleue. Aussi grandioses que remarquables les paysages brassent des vapeurs d’embruns adossées à la terre ferme. Du bout des doigts elle tâte l’obscurité sur le point de fondre aux  brumes matinales. Plus rien ne la retient, le désordre de ses pas la porte sur le fragile liseré pointé vers l’étendue sauvage. En aparté la lune appuyée sur le rebord des nuages.

À marée haute, à marée basse, j’ai toujours le cœur à la vague.

Sur place quelque chose de providentiel a forcément changé la perspective des lieux. Comme une vague impression de déjà vu. Sensation à peine effleurée. Murmure peut-être entendu. Insaisissable ondoiements aux allures buissonnières. Vagabondage d’inspiration divine. 

Pourtant à y regarder de plus près quelques indices disséminés ça et là, offerts aux regards les plus aguerris. Bouffées de rumeurs confuses et de souvenirs épars. À la poursuite de cette chimère qui prit son envol jusque dans les songes. Mais où espérer rencontrer l’énigmatique  fille aux yeux d’or, et comment l’aborder sans pour autant  l’effaroucher?  

À folles enjambées, sur les pavés de granit elle s’esquive sans être remarquée. Chassé-croisé au cœur du dédale des petites ruelles à l’écart de la cohue saisonnière. Aperçue à la terrasse ombragée du café des amis, dissimulée derrière ses grosses lunettes noires elle soulève sa frimousse coiffée d’une capeline de  paille portée avec l’élégance des grandes dames. L’instant d’un éclair les regards se croisent, les frissons se pâment laissant libre cours à la désinvolture de l’instant. Un air de vielle ritournelle qui s’accroche aux souvenirs évanescents.

Pourquoi cet air qui tourne dans ma tête comme une mélodie perdue

Élytres de tulle bleu translucide, nervures soulignées d’un trait de khôl, butineur de lueurs un papillon ocellé s’attarde dans l’aquarelle des jours. Sérénité de l’instant. Rien n’a changé. Elle se souvient des moindres détails truffés de silences et d’éclipses. Le vent, qui ne cesse de pourchasser les ombres, certain de les ramener à bon port. Rebroussant chemin d’autres s’approchent des lieux vacants. Peu à peu elle perd la trace de ses premiers balbutiements.

À son insu les battements de son cœur pressent le pas jusqu’aux parages de son enfance. Ce lacis de ruelles qu’elle connaît sur le bout des doigts. Ces inextricables passages qui charrient leur lot de soupirs, de baisers volés, d’amours contrariées, de passé détricoté, de vie mouvementée. Cette enfance à laquelle personne ne se dérobe. Sur ces versants abrupts, nul ne sait ni où dériver, ni où retourner. Volte face. Face à face.

Non  loin de là gronde l’Océan. Ses clameurs s’infiltrent jusque dans les venelles désertes. Une maison de briques de modeste  dimension. Abri de piètre fortune. Volets clos. Boîte à lettres désuète. Apposée tout en haut du pignon une plaque aux coins rognés. Jeu d’écritures à demi estompées. Rithé-Rilou.  Au fond de la cour la petite fille joue à la marelle. L’insouciance enfantine face à la furie du monde. «  Maïtena ? »  Images floues à la dérive. Souvenirs échoués au fil des châteaux de sable. Et le vent, retranché en ses pénates entre ciel et mer. «  Marie… »

D’un bout à l’autre de l’horizon le temps dépose des fragments d’éternité. Face au défunt immeuble tombé à grands coups coups de bulldozer , l’esplanade qui désormais porte son nom de scène. L’enfant prodigue au cœur de la petite station balnéaire. Retour en grâce.

Viens, viens, c´est une prière.