ORACLE DE L’AMERTUME
Quelques cris d’effroi au cœur des tempêtes, là où les mots émergent comme une prophétie incantatoire, révélation de l’amertume du monde. » Ces vagues éternelles de la vie, que la naissance et la mort élèvent et précipitent, repoussent et ramènent » (Staël)
Dans les lueurs qui scintillaient au couchant, la coloration du monde venait de changer de teintes, de fragrances, de perspectives, de sensations et bien plus encore, d’appréhension. Comme une imperceptible mouvance, ancrée dans l’instabilité. Même si en contre jour, il y avait encore ce suave goût d’antan, l’enchevêtrement des architectures souterraines se bousculait en attrape-rêves, balayant les habitudes les plus abouties, faussant les illusions de ce qui fût auparavant connu, perçu et entendu comme quasi intemporel.
Empli d’indifférence, face à ce lot de défiances, le monde était devenu cet effrayant territoire, uniformément désert. La vie s’en était allée, emportée dans la fuite du quotidien, laissant place à d’étranges sentiments d’amertume. Parcelles de vécus d’épopées lointaines, quelques lambeaux de souvenirs épars, tourbillonnaient dans la horde sauvage des saisons, changeant d’équinoxe sous l’opaque lueur d’interminables jours à paraitre.
Ce monde là, marqué par son exubérance, que certains purent un temps glorieux, penser et croire immuable, s’effritait en parcelles d’imprévisibilité, tout aussi vite que fondaient les impérieux icebergs de la banquise. Par la force des choses, la vibrance des éléments s’était bouleversée, la métamorphose s’accélérait sous l’empreinte de ceux qui se raccrochaient à quelques vertus falsifiées. La déflagration tonnait jusque dans les contrées les plus reculées.
Dans le flagellement des pluies diluviennes, des éclats de mer découpaient les paysages en fractions de polaroids délavés. Le temps venait de se figer dans l’instant, emprisonné dans les mors de l’étau des glaciers à la dérive. L’immensité de l’espace, n’étant plus qu’une succession de tableaux exposés sur les murs de ce musée désaffecté, tombé en disgrâce, charrié dans l’oubli du tourbillon des vent.
Devenu mortel, l’univers s’agglutinait en agrégats de néant, enseveli dans la nébuleuse de vies passées dans le trépas. Passé anéanti, englouti dans les ruines de l’instant, fugitif et précieux, aussi vif et capricieux que les mustangs sauvages, chevauchant au rythme de frénétiques cavalcades dans d’inhospitalières contrées.
Inexorable, la mouvance engloutissait des pans entiers d’alentour, il n’y avait plus ni saisons, ni horizon. Le tourbillon trahissait le chaos pour parachever ce qui demeurait incognito, anonyme. Somptueux présage dans la clameur du cycle des murmures, impuissants passagers d’une destinée crucifiée sur les hauteurs du Golgotha, dans l’esprit d’une renaissance sanctifiée, promesse d’éternité.
Ainsi, dans le plus grand silence, disparaissait la puissance de la création, pulvérisée sous des parcelles d’entendements, pour ne laisser place qu’à ce perpétuel renouvellement, tandis que les années égrenaient sans fin le sablier temporel. Sous la perspective de nouvelles prophéties, les panoramas changeaient de décor, les idées, les hommes, le décompte des jours, la fuite des temps, la perte des instants, éternel changement, implacable fatalité.
Éphémères, précaires, en sursis, c’est écrit, gravé dans l’instant, juste de passage, quelconque brin de poussière. Message subversif, ni faiblesse, ni lâcheté. A la cime de la vie, où la mort précipite.