FRACAS HIVERNAL
Hora
Ainsi va, au solstice hivernal, dans la torpeur hostile et le froid glacial, l’accomplissement final du cycle des saisons, sous la témérité de Hora, intrépide déesse de l’hiver. Les Heures Célestes ne sauraient plus attendre.
Bien que l’équinoxe d’automne, à moultes reprises, nous ait mis en garde sur la décrépitude des jours à venir, nous autres, folles cigales estivales, promptes à danser la danse de Saint Guy sur les braises incandescentes des feux de la Saint Jean, n’y avions guère prêté l’oreille ! Juste un brouhaha de plus dans le capharnaüm ambiant d’injonctions de bien mauvais augures. Insouciants et impudents que nous sommes. Diantre, qu’importe les flocons de la Saint Martin, pourvu que l’on ait encore et encore cette belle ivresse collective des lendemains de fête!
Septembre envolé aux premières migrations des oiseaux de passage, Octobre s’affichait à tue-tête en flonflons de fête foraine, tout de rose pompon vêtu. Tumeurs et contrariétés de la vie quotidienne aux parfums sirupeux de bonbonnière, glamour et festive. Une fois les parapluies emportés par la furie dantesque des bourrasques automnales, les fluettes ballerines en tutu de pimprenelles s’esquivaient en catimini sur la pointe des pieds, laissant en plan la féerie du ballet pantomime des saisons. Frêles libellules qui, au fil de leurs émois juvéniles, au prochain sacre du printemps, se métamorphoseront nymphettes des forces vives de la nature.
Passé le changement d’heure, une page se tournait. Fin de la prolongation de l’été qui n’avait rien d’indien, si ce n’est les plumes tombées du nid vide à même le sol, jonchées dans le tourbillon des feuilles mortes. Chaque petit matin s’éveillait englouti dans des torpeurs de brume poisseuse qui barbouillaient les paysages en panoramas monochromes, figés dans d’invraisemblables postures sclérosées. Toute nuance de coloration dissoute par l’opacité dantesque de l’ogre aux vapeurs d’haleine embuée. Souffle pestilentiel à couper au couteau.
Malgré sa bonne foi matinale, l’astre solaire n’arrivait point à poindre cet épais brouillard qui glaçait l’atmosphère des jours de Novembre. Premier mois hivernal, arrivée de la morte saison. Novembre, mois des rites funéraires, des dépressions saisonnières et de l’avènement des chrysanthèmes. Marguerites des morts qui fleurissent les sépultures des défunts. Détroussés de leur luxuriant feuillage, les arbres fustigés par les vents scrutent l’obscurité. Engloutie par la nuit, la nature prend l’apparence de repos éternel.
Temps du recueillement et des douleurs insondables de la vie. Consécration des grands cataclysmes, des inconsolables chagrins, des funérailles, de la tristesse, du deuil. Compilation de tous les affects entassés en épaisses couches de déchirements, d’incertitudes, de doutes, d’angoisses et de peurs. Litière de putréfaction compostée en terreau fertile. Interminable cycle grisâtre crêpé d’ébène, à broyer du noir entre les quatre murs de son enfermement. L’obscurité y est encore plus sombre, plus insondable, tellement déployée que l’on se questionne si le Soleil reparaîtra à l’aube d’un prochain jour. Tempêtes intimes. Novembre, mélancolie en cendres. Blues vénal, spleen fatal. Apanages des poètes maudits.
Harassée par les dernières besognes automnales, la terre tombée en friches, sang d’or sur ses lauriers, dans la mélancolie de silences obstinés. Meurtrie en ses chairs par la morsure des désolations polaires, le souffle de la vie en suspens. Temps de répit et période de replis, essence de régénérescence. Hibernation saisonnale. Engoncée dans les lueurs évanescentes de la nuit, fière de ses racines, de ses multiples terroirs et de son patrimoine, elle s’imagine déjà faire entendre sa voix à l’orée d’une nouvelle saison fructifère où de superbes fruits pulpeux feront ployer les branchages feuillus, pollinisés par des nuées d’abeilles butineuses. Ascèse nécessaire pour nourrir son feu intérieur. Tout autour, plus rien ne bouge. Nature morte figée pour la postérité sur la toile du grand maître de l’impressionnisme.
A la pointe du jour, une mer lumineuse s’étend au-delà des rivages de l’infini. Voilà déjà l’hiver qui s’approche à grand pas. Du côté des montagnes voisines, les sommets blanchis, saupoudrés de flopées de cristaux en forme de feuilles de fougères, étincellent sous l’ardeur intrépide des rayons d’or transperçant l’épaisseur de la nuit. Sous son tapis de givre, les premières gelées blanches offrent à nos yeux d’enfant ébahis, cette vision de féérie à l’arrière des fenêtres embuées. La douceur du feu qui crépite dans l’âtre réchauffe nos âmes transies. Dans la tiédeur de cette atmosphère douillette se répand cette odeur si particulière d’un chocolat chaud nous ramenant à la candeur de précieux souvenirs d’enfance.
Qu’il neige ou qu’il vente, les intempéries, le mauvais temps et ce cocon originel qui nous coupe du monde extérieur pour nous protéger et mieux nous réconforter, où comme par miracle, en ces espaces insoupçonnés l’on retrouve la grâce de l’intime. S’y abandonner, à l’écart des stimuli, en retrait, coupé du monde, avec pour seule compagnie le silence, luxueuse frugalité pour retrouver une sérénité intérieure. Une vie assoupie dans la permanence de saisons.
Au solstice d’hiver, Hora, fougueuse et intrépide, couverte d’une longue mante de bure, achève le cycle des Heures Célestes, paraphant ainsi chaque page du sceau de son caractère divin. Si à chaque instant suffit sa peine, à la Sainte Luce les jours croissent d’un saut de puce pour enfin reprendre le dessus sur ces temps d’obscurité. Au sortir de cette longue période de disette, peu à peu l’atmosphère se radoucit, annonçant la renaissance après le trépas. Vaste monde où l’on reconnait les effluves au sortir des ténèbres.
Précautionneusement, la rude besogne d’Hora met ainsi en exergue le triomphe de la lumière sur le monde des ténèbres. La terre a vaincu,fin prête à accueillir le printemps qui redonnera à la nature ses lettres de noblesse. Accomplissement de l’œuvre de la création sur le fil de la vie. Éternel recommencent du cycle des Heures célestes. En embuscade, Thallo ne saurait trop attendre le prochain réveil. Moment charnière où rayonne cette petite lumière intérieure. Lumière que chacun porte en soi. Lumières des étoiles, de la lune, du soleil. Un Univers tout en soi…
Florilège des Heures célestes: