COMME ON NOUS PARLE
Goebbels et Big Brother l’avaient compris, rapporte Jean-Paul Fitoussi dans l’introduction de son essai “Comme on nous parle” , dont le projet est d’expliquer l’emprise de la novlangue sur nos sociétés : il suffit d’appauvrir le langage pour faire converger les pensées.
Les mots ont perdu l’éclat de leur superbe. Dans le contexte actuel de conditions si particulières, le champ lexical, ruiné sous le vide abyssal du langage châtié, corroboré par les nouveaux chantres du déraisonnable, subit au fil du quotidien, un véritable laminage de fond, emprunt de terreur linguistique. Marasme d’un despotisme arbitraire et radical.
Abêtissement des masses, polarisation des opinions, castration des idées, stérilisation de la pensée, l’apanage de ces temps de décrépitude et de corruption, aux attributs de l’infamie, souveraineté nationale d’un mal des temps modernes. Saura-t-on résister à l’ensorcellement de ce chant nouveau des Sirènes ?
Rabougris par précipitation, accourcis par circoncision, éconduits par omission, jaunis par désillusion, détruits par simplification, le récit des mots, déplacés, replacés, remplacés, sème la débandade au sein de ces nouvelles Métamorphoses, qu’entre d’autres temps, Ovide, poète de la rhétorique, aurait qualifié de sacrilège !
Des mots que l’on articule, tandis que d’autres gesticulent sous le feu des projecteurs. Des mots qui s’immiscent dans les replis de l’inconscient collectif, traquant les failles et les déficiences. Des mots entonnés au rythme de chants guerriers, scandés par la fureur, repris en chœur avec verve et ferveur. Des mots qui deviennent slogans, des slogans qui s’incarnent servitude. Des mots ânonnés par pur mimétisme, répétés, ressassés, rabâchés jusqu’à outrance, à toutes les unes de la grand messe des JT. Foule de maux qui ne tiennent qu’avec mensonges et résignations, aux frontières de conflits, malentendus, illusions et désillusions.
Quant à l’Humanité, elle se doit de renaître, de se transformer, de se réformer. Cette fois encore, ce sera par un cruel jeu de mots. Vilipendés, endoctrinés, ils transforment l’Humain et le monde qui va avec. Pour diffuser et répandre au quotidien, toute pensée ou doctrine, au cœur des consciences endolories, le choix des mots, n’est jamais tout à fait innocent. L’appauvrissement de la langue conduit inéluctablement à l’asservissement collectif et la mise sous tutelle de l’intelligence humaine. Bien plus efficace que toute répression barbare, le vocabulaire devient instrument de manipulation docile, muselière servile d’individus privés de conscience, vidés de sens critique, éconduits de quelconque forme d’opposition. Le contraire de toute poésie qui donne force, puissance, virtuosité et conscience aux mots.
Un langage qui s’articule autour d’une sémantique d’ineptie mentale. Vidés de toute structure et siphonnés de sens, les mots s’étiolent en lambeaux, détournant la dialectique du vivant et du sacré. Le mythe s’est fondre, voilà l’humanité décérébrée !
Le vocable se fait toujours plus sensationnel, affuté, explosif, mordant, acéré, avide d’idéaux conceptualisés, paroxysme d’une identité totalitaire, des postures et des mots à l’emporte pièce, matraquage et bourrage de crânes d’une linguistique limogée de son contenant et de son contenu, axée sur la banalisation des extrêmes. A droite toute! Bis repetita.
Le langage, vieil outil de communication, d’échanges et de partages, n’est plus qu’un leurre, une sinécure ayant pour seul but dissimulé, le contrôle et le pouvoir absolu. Du côté des palaces et des paradis fiscaux, la caste de dirigeants triés sur le volet, maitres penseurs de l’intelligentsia post moderne, de l’autre bord, du côté de l‘écume des jours, les miséreux et les indigents, peuple assouvi, asservi sous le joug inquisiteur des puissants.
Orwell avait senti le vent mauvais souffler bien avant l’heure. Sans crier gare, la Novlangue, langage de rien, a pris place dans chaque secteur stratégique de la société, s’infiltrant dans les moindres recoins d’intimité. Idéologie de la peur au service du totalitarisme, quand l’ombre maléfique de l’Hydre de Lerne rampe en douceur sous nos oreillers. Plus de nations, plus de peuples, juste une masse informe et uniforme d’individus anonymes, sans visages, sans voix.
Le Kama Soutra de l’ensauvagement, mouture polysémique exsudée au Kärcher ou au lance flammes, semble devenir stratégie subversive, En Marge du Césarisme ambiant. Souple tu es, soumis tu seras !
“Nous voulons du rêve, de la joie, de la bonne humeur, de la poussière d’étoiles plein les yeux, de la fraternité partagée, de la liberté retrouvée. Juste un petit coin de ciel bleu au dessus de nos têtes, un peu de poésie en filigrane dans le cours de nos vies. Rien d’impossible!”
Et si au bout du compte Ovide avait cruellement raison. Les Métamorphoses sont source de jouvence, dithyrambes de l’apologie du Vivant. Nos vies valent bien mieux que ce qu’ils nous proposent. Soif de mots.