CASUS BELLI

Publié par Vent d'Autan le

Jacques Prévert

La guerre n’est ni plus ni moins qu’un odieux complexe de virilité où l’humain se perd dans les faiblesses et les contradictions de sa propre vanité. Ainsi se distille le poison des bellicistes.

Une page se tourne pour écrire en lettres de sang un nouvel opus de la furie guerrière des hommes, enclins à toujours en découdre pour la conquête de territoires perdus. Inexorable quête de cette “subordination de l’âme humaine à la force ” que soupirait Simone Weil.

Il aura suffit de la volonté d’un seul homme, bouffi d’orgueil, pétri de grandiloquence, pour mettre un terme au pacte de stabilité établi entre les peuples, au sortir de la sauvagerie barbare de la seconde guerre mondiale. Soixante dix sept ans de paix balayés d’un simple revers de main. Mise en scène du basculement permanent des forces obscures. Dans le chatoiement de ses pensées mortifère, l’homme est insupportable jusqu’à ce point où l’irrémédiable se produit. Imprévisible visage de la brutalité des idéaux.

Grandeurs empiriques des fastes d’antan. Lustres décatis de cette Russie impérialiste en quête d’un empire perdu dans les décombres de l’éclatement du bloc de l’URSS. Héritage d’un passé aussi glorieux qu’encombrant. De César à Napoléon, les pages d’histoire sont emplies de ces monarques tyranniques dont la frénésie a enflammé les pulsions mortifères, entrainant dans leurs impérieux délires de conquêtes des milliers de vies, anéanties sur l’autel de la furie guerrière. En embuscade, dans les replis de l’ignominie, la vieille camarde grisonnante, grande faucheuse d’âmes de martyrs, offerts aux sacrifices de la Passion.

Sur les champs de bataille, c’est l’appel aux armes, la gloire est l’unique splendeur des héros terrassés. Au son des canons, vainqueurs et vaincus subissent le même sort. Combats de coqs, batailles de guerriers, conflits larvés et luttes armées, tordus de douleurs et de drames, laissant à l’arrière des lignes de front, champs de ruines et de désolations. Comme une traînée de poudre, la rage se propage en furie de ses sordides démons. Empourpré de ses propres délires qu’il fanfaronne, l’homme aux mille ruses se déploie sans entraves à l’heure où la guerre dépasse toute convenue, toute retenue. Balayée par les vents de l’onde amère, la plaine promise se referme sur les heures tragiques.

Parfois les braises ont la puissance démoniaque d’un volcan en éruption, crachant du feu et des flammes, rugissant comme un fauve à travers les fumerolles de l’Enfer. Comment ne point ouïr les hurlements des agonisants ? Comment ne pas percevoir ces bûchers qui brûlent depuis des jours ? Comment ne pas pressentir le guerrier courroucé, irréductible, plein de rancœur ?  Ainsi le mal tend à se répandre entre les lignes de fracture.

Dans la torpeur de la nuit, le crépitement des balles, le bruit sourd des mortiers et le fracas des bombes, quand retentissent les sirènes, plaintes de glas lugubre. Déluge de sang et de feu, la chevauchée des Walkyries de l’Apocalypse. La paix ne semble point être un idéal de la condition humaine. Au plus profond de ses gènes, l’Homo sapiens serait d’humeur plutôt guerrière que prédestiné partisan de la paix. La vanité de l’homme conduit aux pires exactions. C’est un combat, une lutte âpre et sans merci. Une douleur impérissable à la détresse innommable. L’enchevêtrement des vertiges, qu’ils soient du ciel et de l’enfer.

Depuis la nuit des temps, Guerre et Paix, deux antagonismes qui s’opposent et s’affrontent dans cet étrange ballet de danses macabres. Aucune colombe ne saurait faire taire le bellicisme féroce qui entache l’âme humaine. Apologie du néant, vanité des puissants.

 « Il n’est rien de plus naturel à l’homme que de tuer » Simone Weil