BORIS TASLITZKY : LA PEINTURE EN RÉSISTANCE

Publié par Vent d'Autan le

Boris TASLITSKY © Yves BRAYER

Peintre des « Indésirables », la vie de Boris Taslitzky est marquée par l’horreur de la guerre. Arrêté en 1941 en tant que communiste, il est emprisonné au camp d’internement de Saint-Sulpice-la-Pointe (Tarn), où il peint un ensemble de fresques sur des baraquements, ce qui lui vaudra la dénomination de « Maître de Saint-Sulpice » par Aragon.

En d’autre temps, en d’autres lieux, à une autre époque trouble, brouillée d’évènements enténébrés, certains pans d’histoire que l’on voudrait oublier et effacer à jamais de notre mémoire collective, méritent qu’on les exhument de leur douloureux passé pour mieux les ressusciter sous un jour nouveau, révélés en un tourbillon de lumière.

Malgré toutes les exactions commises au nom de l’impensé et de l’innommable, il est absolument nécessaire  de convoquer les fantômes de l’inavouable pour les réhabiliter afin que chacun puisse se souvenir et surtout que personne n’oublie qu’un jour une telle folie fût rendue possible. Un devoir de mémoire universel et générationnel dans la trace brûlante de la terreur du réel.

Après la furtive débâcle appelée «  l’étrange défaite », l’armistice du 22 juin 1940 établit les conditions de l’occupation de la France par l’Allemagne. Le pays est divisé en deux parties distinctes, séparées par une « ligne de démarcation » créant deux France en une, d’un côté la « zone occupée » et de l’autre la « zone libre ». Placés sous l’autorité du régime de Vichy, plusieurs camps d’internement furent installés sur tout le territoire. Quelques 600 000 personnes y furent internées, enfermées point pour délits ou crimes qu’elles auraient commis mais pour le seul danger potentiel qu’elles pourraient représenter pour l’État et/ou la société.

Et dans les fanges de ce passé souillé, les EPM (Établissements Pour Mineurs) et autres CRA (Centres de Rétention Administrative) détachent leurs austères silhouettes de camps retranchés de l’ère moderne. A croire que cette vieille tradition d’enfermement reste ancrée dans les racines de la République, toujours un peu trop proche des Extrêmes.

Bastide tarnaise, Saint-Sulpice-la-Pointe abrite un centre de détention au lieu dit “les Pescayres“. Bâti sur les lieux mêmes d’un camp qui, du 16 octobre 1940 au 23 août 1944, fut le plus grand des camps d’internement destiné dans un premier temps aux “indésirables“, ennemis politiques du régime puis pour Français, détenus “politiques” de la zone Sud. Y furent internés le poète Louis Aragon ainsi que le peintre Boris Tazlitsky.

Lors de mon arrivée au camp de Saint-Sulpice, mes camarades d’internement me demandèrent de décorer les murs nus et tristes de nos baraques. Je le fis avec une joie réelle. Nous discutions ensemble du sujet et des maquettes. Il s’agissait, par des images simples et directes, d’exalter les raisons pour lesquelles nous étions tombés, ou bien, à partir de nos misères communes, d’affirmer notre certitude dans un avenir que nous savions nôtre. C’est ce que les internés pensaient et ce que je pensais avec eux que je tentais d’exprimer avec mes moyens plastiques et les élémentaires moyens techniques dont je disposais. Et je sais bien par expérience – et ce n’est pas la seule – ce que signifie pour moi la traditionnelle question : ‘Pour qui peignez-vous ?’

Parlant de ces fresques, Aragon écrira: « Extraordinaires fresques énormes (elles mesurent cinq mètres de long sur trois mètres de haut) Les personnages en sont presque deux fois grandeur nature. Calmement, devant les G.M.R , les miliciens, les Boches, celui que nous appellerons donc le Maître de Saint-Sulpice les peignit comme un défi, incompréhensiblement supporté par les geôliers. »  

L’instinct de survie est plus inébranlable que toute emprise physique ou morale. Face à un quelconque pouvoir capable d’emprisonner des hommes et de les priver de liberté, aucune instance répressive ne pourra les couper de cet esprit créatif bien plus retentissant que toutes les barrières érigées.

L’Art, sous toutes ses formes permet de s’évader des prisons les plus inextricables. Il est ce langage symbolique, dernier rempart contre la répression. Figure emblématique de résistance et d’opposition, il reste et demeure la forme d’expression la plus aboutie face à l’obscure lumière qui ensevelit toutes les libertés.

Dans la pénombre des miradors, quelques graines d’étoiles ont éclos dans l’innocence du monde, défroissant les barbelés.

Est-ce ainsi que les hommes vivent, et leurs baisers au loin les suivent…

Je salue Jacky Tronel pour son excellent blog dont je me suis inspiré pour ce billet.

Pour ceux qui veulent aller plus loin dans cette aventure humaine, voici les liens à suivre:

Boris Taslitsky

Boris Taslitzky

Boris Taslitzky, un peintre à Buchenwald

Boris Taslitzky : un Homme, des prisons et des camps

Les fresques de Boris Taslitzky au camp de Saint-Sulpice la Pointe

  La 7e fresque de St-Sulpice la Pointe, enfin sortie de l’oubli

Fresques perdues Mémoire vivante

Camp des Pescayres

Les camps français d’internement (1938-1946)