SPLENDEURS ET FASTES DÉCHUS

Publié par Vent d'Autan le

« Les lieux sont aussi des liens, et ils sont notre mémoire. » Philippe Besson

À jamais entourés de mystères certains lieux recèlent intacte cette splendeur reléguée au fin fond des âges. Fleurons d’époques révolues, c’est au fil des pages d’histoire que ressuscite parfois cette mémoire enfouie dans les arcanes des temps. Fantômes d’un passé enfoui entre rêve et réalité. Même les ruines ont une âme.

En ces alentours sauvages, nichés au sein des monts verdoyants d’Alban, non loin de ceux de Lacaune, sobrement mis en scène en un décor feutré, trône cette splendeur oubliée. Naufragée à la dérive, l’épave du château de Granval, majestueux fleuron du XV° siècle, se mire à la surface des eaux dormantes de cet insolite panorama. Miroir de jours fastes volés en éclat sous le déchirement d’une longue agonie. À voir son état de délabrement comment imaginer les reflets du soir redonner vie à la bâtisse des flots. Joyau perdu d’Occitanie en proie à la rigueur des mauvais temps.

 L’hiver venu, enveloppée d’écharpes de brume, teintée de sublime la forteresse de pierres flotte par dessus l’immensité du grand lac. Émergeant d’une lumière vaporeuse elle semble reprendre vie au milieu des décombres. Emprunte de cette aura mystique les ombres frissonnantes soulignent les majestueuses élévations des murailles emprisonnées en ce fatras d’arborescence végétale. Et dans le chuchotis des feuillus cajolés par l’Autan, la plainte lancinante qui déchire les lambeaux de la nuit jusque dans les campagnes environnantes.

Par ici coulait jadis la petite rivière du Dadou, devenue barrage artificiel par cette propension naturelle qu’ont les hommes à toujours vouloir maîtriser les éléments, faisant fi du faste romantique de ce château.  Bien peu se souviennent de ce vallon verdoyant où coulaient des jours paisibles au fil de l’onde. Autre temps, autre mœurs. Un pan entier d’histoire englouti. Ouvertes aux quatre vents, sous ce lavis estompé les ruines se désolent dans la mélancolie des contours effacés dans le vide des alentours. Tant de sommeils aux contours estampés sous le linceul de matins clairs.

Sous la férule humaine le paysage s’est modelé sans grand souci du patrimoine historique. Pas d’omelettes sans casser des œufs ! Paradoxe des temps modernes. Voué au désastre et à l’abandon, Granval, symbole d’un sacrifice originel, s’est transformé en îlot romantique par la mise en eau du barrage de Razisse. Mémoire engloutie. Trésor enfoui.

Ce n’est qu’au faite de l’été et de ses épisodes caniculaires répétitifs que le château retrouve l’ancrage de ses racines terrestres enfouies en des gangues de glaise. Parenthèse d’authenticité en proie à tous les songes. S’y aventurer n’est guère permis, mais les aventuriers n’ont que faire du raisonnable. Braver l’interdit procure cette jouissance espiègle matière à titiller l’inconnu. De quoi arpenter ce nouveau terrain de jeu à la poursuite de silhouettes estompées, d’ombres falotes et de visons évanescentes à l’initiative de ce renouveau. Unique occasion d’explorer  de nouveaux territoires virginaux.

En remontant le fil des siècles on prend conscience que le périple commence souvent tout près de chez soi. Sous le vaste ciel, les lieux, synonymes de raffinement, semblent s’enorgueillir d’avoir accueilli quelques invités de prestige au cours de siècles féconds. C’est avec ravissement que la fraîcheur de ses couleurs inondées de soleil nous plonge dans les profondeurs de cet univers fantasmé semblant conter au passant le faste de glorieuses bannières.

Par ici le paysage rime avec l’âme des poètes, l’air y est délectable, le temps immémorial. Émergeant des nuées la belle endormie semble s’extirper des griffes d’un douloureux maléfice. Les braises incandescentes d’un feu de camp trahissent la présence de quelques intrus. À l’abri de l’épaisseur des murs, dans la plus profonde intimité, la bâtisse retrouve l’éveil de sa dignité antique. Tant d’esprits aussi redoutables que bienveillants occupent encore la cour d’honneur bordée d’oriflammes. Troubadours, poètes et ménestrels y mènent la danse. Entrez donc ! Le voyage ne fait que commencer.