PROCESSION DU SACRIFICE
Abandonnée dans ce moment de solennité et d’absolu, la célébration du mystique brouille les pistes du cérémonial. De la résistance à la tentation, jusqu’aux ambitions à caractère rédempteur, la confrérie déambule dans le siècle à l’agonie.
Et puis c’était samedi, le samedi de Pâques, et en un jour pareil, il aurait été sacrilège de ne point participer à cet immuable rituel, vieux de 600 ans, de la procession séculaire de la confrérie de la Sanch. Comme chaque année, à cette même période, quelques milliers de personnes affluent de toute part, se rassemblent, s’amassent et s’agglutinent en innombrables nuées ostentatoires, empruntes de cette fièvre collective.
Dans le vacarme de la foule en liesse et de l’écho assourdissant des tambours et des crécelles portées aux nues, la procession monacale, emprunte d’un mysticisme inquisitionnel, traverse le temps et les siècles, sous la ferveur religieuse de la semaine Sainte, sanctifiée sous les auspices de la Passion.
Encagoulés sous la caparutxa, longue coiffe conique, effilée jusqu’à la cime des cieux, vêtus de l’habit traditionnel, noir corbeau pour les pénitents, rouge sang pour le régidor qui rythme les pas, les hommes de l’étrange défilé processionnaire s’avancent à travers les petites ruelles étroites, immergés dans un profond recueillement.
Sur le chemin de croix, la lumière éclaire les lieux d’une tonalité à la limite du sacré.
Abandonnée dans ce moment de solennité et d’absolu, la célébration du mystique brouille les pistes du cérémonial. De la résistance à la tentation, jusqu’aux ambitions à caractère rédempteur, la confrérie déambule dans le siècle à l’agonie. A chaque tintement de clochette, la foule retient son souffle, prise en étau entre fièvre et ferveur, happée par l’exaltation de cette dévotion.
Au détour d’une place reculée, l’infatigable voyageur savoure l’instant de cet aparté à l’écart du tumulte. Peut-on écouter religieusement le silence, en toute simplicité ? Le silence, ce chef d’œuvre précaire et délicat, dernier bastion à conquérir des cœurs les plus tranquilles.
Juste fermer les yeux, un instant, pour une pause, divine, au rituel immuable, entre profane et sacré, incontournable mine d’or.
Nu face à la divinité, bercé par l’infime murmure d’une fontaine, les battements de son cœur saccadent ce tempo lancinant. Les pensées s’échappent de son esprit pour s’envoler par-dessus les toits de tuiles rouges, accompagnées du croassement rauque, presque enroué, d’un corbeau noir ébène tournoyant d’un vol continu tout autour du clocher orné de fines arabesques de métal forgé. Au loin la foule exulte…