LE CIEL EST OUVERT À CEUX QUI ONT DES AILES

Publié par Vent d'Autan le

Il est symbole du soleil et les Japonais considèrent que l’ordre parfait des pétales de chrysanthème représente la perfection, alors que Confucius a suggéré de l’utiliser comme objet de méditation. On dit qu’un seul pétale de cette fleur adorée placé au fond d’un verre de vin donnera une vie longue et saine.

Voici venu le temps des nécropoles au cœur de ce jardin clos où une fois l’an fleurissent de leur plus bel éclat les sépultures épanouies. Toussaint avant l’heure avant que n’encombrent les chrysanthèmes et leurs bouquets de misère. Occasion et  prétexte de rendre hommage aux disparus et aussi de grand nettoyage d’automne en amont des monotonies hivernales.

À l’arrière de la grille flanquée juste à côté de la petite maison du gardien tout endimanché, de longues allées rectilignes filant jusqu’au loin dans le diapason du ciel. Bordées de casemates bétonnées et de stèles en  granit du Sidobre, elles s’apparentent aux rayons encombrés d’une bibliothèque tombée dans le silence des encombres.

CP 92723 – CP 81571 – CP Concession à perpétuité, gage d’éternité. Ici bas, tous ces oubliés de l’humanité ont pris perpette, peine incompressible. Les uns et les autres frappés du même coup de sort, marqués du même sceau de la vielle camarde en cheveux gris. Repos éternel. Digne de respect un ange inscrit bonnes et mauvaises actions au fronton des auspices.

Ici reposent Paul, Louis, Adrien, Léontine, Jules, Lucien, Amédée, Arthur, René, Édouard, Clairette, Félicien, Lucie, André et tant d’autres dont les noms, les visages, les vies et les histoires se sont effacées sous le souffle glacial du vent et des intempéries. Tant d’existences passées, trépassées, tant de liens défauts, tant de larmes versées, tant de peines consumées. Boulevard des gisants, ceux qui ne sont jamais revenus du pays de l’ombre et qui n’en reviendront jamais plus. Paradis perdu.

À notre mère. À notre père. À notre famille. À notre fils. À notre petit amour. À nos grands-parents. À notre ami. À ceux qui filent dans l’infini des temps, sans laisser d’adresse, et qui nous renvoient à notre frêle destinée de papillons éphémères. Un jour ou l’autre le tocsin sonnera le glas. Inéluctable condition humaine. Le lot de tout à chacun.

Quelques portraits élimés par l’usure des temps, des patronymes dont la résonance vient à réveiller quelques anecdotes. Ici les petites sœurs des pauvres. Là les servantes de la miséricorde. Plus loin, un soldat tombé dans les charniers des combats. En retrait dans ce recoin fleuri le carré des petits anges célestes. De ce côté ci, l’arbre généalogique de toute famille décimée. Hommes, femmes, vieillards, enfants. Nul n’y échappe, nul n’en réchappe. Fléau des dieux. Malédiction divine.

1821-1902-1931-1943-1954-1983-1992-2001-2012-2023.Tout autant de dates gravées sur l’hôtel des sacrifices, tant de vies brisées, emportées dans les lames de tempêtes émotionnelles. En lettres dorées, sommité de vies résumées en deux dates, en aparté. Nul ne dure, rien n’est éternel, seul le temps qui passe.

À l’abri du grand pin parasol, un caveau des plus ordinaires en tous points semblable à tant d’autres éparpillés ça et là. Au carrefour des lignées quelques toits ourlés de zinguerie à la patine grise mate. Des croix de suppliciés. Des crucifix d’ornement funeste. Des têtes de martyrs couronnés d’épines. Des bustes de vierge éplorée. Des sculptures de pleureuses drapées de voile. Des urnes sépulcrales. Des épitaphes en souvenir d’eux. Y aurait-il une architecture funèbre, archétype de la mort et ses symboles ? Art funeste des dépouilles mortelles.

Cinéraire maritime, œillets de poète, bruyères colorées, fétuque bleue, lys blanc, à chacun des carrés sa composition florale plus ou moins entretenue. Parfois une tombe abandonnée, une vie qui disparait dans le néant, dont plus personne ne se soucie. Le parterre des oubliés. Concession à céder. Au suivant !

Le ciel s’assombrit d’un léger crachin, des larmes de pluie s’en viennent verdir le parterre des sépulcres. La vie renait toujours de ses cendres. Toussaint, pour que chacun, à jamais se souvienne que rien n’est éternel, sauf peut-être ce repos perpétuel de nos âmes défuntes ainsi que l’éternité des temps. Funérarium, columbarium, ad libitum. En ces lieux d’intense miséricorde le silence et ses entournures, à pas feutrés. Et le vent ressemble soudain à un pardon. C’est écrit dans le ciel.