L’EXODE DE NOS SILENCES

Publié par Vent d'Autan le

Finitude © Vent d’Autan

« Le bruissement lointain de la mélancolie, porté par les ailes tourbillonnantes du mystère » Louis Couperus

L’âme voilée, une fleur de chrysanthème à la boutonnière, il déambule sans fin à travers le dédale des jeux d’ombres où siègent les esprits. Chaque pierre, chaque murmure, chaque frisson, lui sont si familiers, la légende des siens en héritage. Il passe ses journées entières, à dormir debout, comme tant d’autres traversent le marasme de leurs nuits. Veilleur intemporel, lien éternel qui unit la lignée des générations. Juste de passage, simple mortel.

Sans vraiment s’en apercevoir, il a atteint l’âge des champs du repos dont il partage le poids de la mémoire. Age d’un ton indéfinissable, quasi intemporel, gravé en lettres dorées dans le funèbre granit d’alignement des stèles. A l’ombre des grands cyprès effilés comme des pinceaux esquissant le ciel, son existence riche et fébrile à la fois,  fût un long périple digne d’une épopée Homérique. Plusieurs concentrés de vies en une seule. De quoi perdre le fil d’Ariane, aux détours de ce labyrinthe d’aléas d’une existence menée tambour battant dans la conjoncture d’évènements concomitants. Entre auspices et aruspices.

Villégiature © Vent d’Autan

Plus que jamais, il vit au milieu de nulle part, à l’écart de l’aversion du monde. Entre souvenirs défaits et mémoire en friche. L’infinie quiétude des lieux apaise à la fois son esprit et son âme. Les pierres tombales égrènent  les patronymes des défunts et parfois quelques visages estompés de celles et ceux qui ont partagés une poignée d’instants évaporés, fixant la solennité des  évènements. Chacune des dates sonnent le rappel de quelques fragments de sa destinée.

Le monde, solitude aux insupportables versants, lui donne le tournis. Tout cela va bien trop vite pour lui, entrainé malgré tout dans cette vertigineuse célérité. Tant bien que mal, il résiste encore, tenant le cap malgré les tempêtes, comme il l’a toujours fait. Mais cette fois ci, le cœur n’y était plus. Las et fatigué par le poids des temps, plus aucune appétence, la vie a perdu la primauté de son sens et la suave fraicheur des jours d’antan.

L’existence des gens qu’il a connu, rencontré, côtoyé, chéri, aimé, n’est plus qu’une longue épitaphe sans fin. A présent, le voilà seul, à attendre l’inéluctable. Les Dieux, dans leur clémence Olympienne, lui ayant accordé un instant d’immortalité, lui qui rêvait de repos éternel!

Depuis que sa Pénélope aux yeux d’émeraude s’en était allé un soir d’automne, le quotidien lui semble bien fade et monotone. Son soleil s’est éteint, plongeant son paysage dans une torpeur quasi monacale. Dans ces longues échappées silencieuses, désormais la solitude est devenue sa plus fidèle compagne. Comme une routine au pied de la lettre. Source d’une fuite en avant.

Depuis toujours, il savait qu’elle l’accompagnerait partout et nulle part, jusque dans ses moindres faux pas. A ses côtés, ensemble, indivisible à jamais. Malgré l’insupportable absence, elle est toujours là , à sans cesse lui rappeler combien ce lien est à la fois si fort et si fragile. Miséricorde des solitudes.

Déambulations © Vent d’Autan

Sans fard, ni trompette, extinction d’une époque qui bientôt va être reléguée dans les frasques des livres d’histoire. Ainsi s’émiettent les derniers soubresauts de ce qui fut le quotidien de gens ordinaires. Éternelle répétition des temps, ce qui ne change point c’est l’impertinence de ce grand chambardement. Une civilisation qui s’éteint au déclin du grand soir, sitôt remplacée par une tout autre, avide de nouveauté, de recommencement et de répétition, le plus souvent bien inconscientes. Pour mieux affirmer combien l’histoire est un perpétuel recommencement.

En toute quiétude, le monde apprivoisé, s’accommode de ceux qui pensent le conquérir, tout en oubliant le caractère flexible et éphémère de leur présence en ces lieux. Seul le temps des humains est compté, comptabilisé dans le sablier des vivants, l’humanité n’en a que faire. Tout se transforme au gré de l’évolution, que l’on veuille ou pas. Inflexible, le cours de la vie poursuit son inexorable avancée.

Lamentations © Vent d’Autan

Sous l’empreinte de ses pas vagabonds la douce complainte des gravillons étalés dans les longues allées rectilignes. Bien qu’il en connaisse les moindres recoins, il ne cesse de s’émerveiller tel un enfant à la découverte du monde. Une fleur sauvage, un papillon gracile, une coccinelle intrépide, un rayon de soleil trouant ce coin d’ombre oublié, l’haleine tiède de la bise effleurant sa peau, ici tout est si différent. A se demander quelle peut bien être  la nécessité de ces immensités de murs qui clôturent ainsi l’espace de ce jardin clos. Qui pourrait bien vouloir s’en échapper ?

La course des nuages © Vent d’Autan

Dernière demeure, ultime étape avant le grand voyage. En solitaire vers la Terre promise. Bien qu’il n’ait point appris à marcher sur l‘eau, nulle angoisse à se frayer un chemin entre le fracas des vagues. La mer est immense, lui seul peut traverser. Voyageur solitaire. Une et mille vies qui se succèdent ainsi. Suivre la course des nuages, comme une ultime quête de paix.