GRIBOUILLIS ET RONDS DANS L’EAU
© Vent d’Autan
« Les rencontres sont similaires au vent, elles nous effleurent délicatement la joue et laissent leur empreinte au sein de notre cœur. Il n’y a aucune logique à en retirer, il n’y a que des instants purs dont on doit s’imprégner pour l’éternité » Joëlle Laurencin
Du premier instant crucial où le plus commun des mortels perçoit le jour, et ce jusqu’au déclin de son ultime soupir, qui infailliblement lui sera fatal, combien de figures, de visages croisés au long cours d’une existence bien emplie? Quelques centaines pour certains, des milliers pour d’autres, peut être bien plus encore pour une infime minorité. Mais peut-on réellement comptabiliser ou énumérer cette innombrable déferlante qui, de tous bords, afflue et défile dans ce grand désordre au travers des péripéties de toute aventure humaine?
La vie est cette entremetteuse, mettant en scène les différents actes de ce théâtre onirique où se juxtaposent comédies et tragédies. Les multiples acteurs de ce spectacle vivant s’y croisent au détour de destins les plus ordinaires, jusqu’à révéler l’individu qui sommeille en chacun de nous. Multiplicité de personnages divers et variés, se mêlant, s’entrecroisant et s’effaçant au gré des mouvances, dissous dans l’inextricable enchevêtrement de la fatalité des circonstances.
Aucun d’entre nous ne serait en capacité de lister les figurants de cette grandiose procession énigmatique. Toutefois, l’idée reste pharaonique, un tantinet farfelue. De quoi passer quelques longues nuitées blanches. Peut-être bien plus intéressant que de comptabiliser des flopées de moutons gambadant gaiement à la lueur de pleine lune!
Comme tout à chacun, à part peut-être quelques exceptions près, la toute première rencontre, primauté des rendez-vous, celle qui à jamais marquera de son sceau l’indéfectible lien d’attachement, est celle de cette femme, qui au terme d’une infinie patience, met au monde le fruit de ses entrailles. Cette personnalité féminine, qui en donnant à cette part de soi la vie, devient Mère. Incarnation de la divinité sacralisée.
Entouré d’étranges silhouettes sans nom, l’élu qui se manifeste au sortir de son propre néant, bulle de confinement, et cette autre femme, partenaire de l’aventure humaine, elle qui accompagne au quotidien la délivrance de chacune de ces interminables attentes. Sagesse de ces maïeuticiennes expertes dans l’art d’accoucher les femmes et de prodiguer les premiers soins à celui qui débarque en pleurs sur cette planète encore inconnue.
A la primeur de ces rencontres, en concomitance des destins qui se chevauchent, issues de l’autre bout du pays du peuple de l’ombre, où s’abime la frontière entre notre monde et celui des créatures invisibles, quelques bonnes fées venues adresser une prière aux étoiles. Penchées au seuil du commencement, vœux pieux, promesses solennelles et serments de fidélité. Ébauche des origines. Entre désir et attentes quel sera le prix à payer ?
Timide et timoré, quelqu’un par hasard sur le chemin, un brin en retrait, presque effacé. Celui qui va de pair au sein de la plus belle aventure dont un jour on puisse faire l’expérience. Celui que la mère présente au nouveau né. Celui qu’elle incarne Père, pair et repère du couple parental.Triangulaire du premier cercle des rencontres, socle intangible des fondamentaux.
Dans les premiers jours de l’avènement, kyrielle de visiteurs, en pointillés sur la pointe des pieds, protagonistes de la Sagrada Familia. Dignes des rois mages, grands parents paternels et maternels, frères et sœurs, oncles et tantes, neveux et nièces, venus s’incliner et honorer le nouveau venu. Les liens du sang, cercle concentrique élargi. Cette famille que l’on ne choisit pas mais qui s’impose bien plus qu’une simple évidence. L’esprit de clan, bagages pour la vie. L’air de rien, un brin déboussolé, sans racines, la vie serait sans doute une erreur.
Au terme d’une intime immersion en vase clos, bulle émotionnelle, une fenêtre salvatrice s’ouvre vers de nouvelles lignes d’horizons. Submergé par cet élan, cette envie, l’essence de la vie franchit les barrières. Nouvelles voies, nouvelles trajectoires, nouvelles perspectives, nouvelles rencontres.
La cloche qui sonne, la cour de récré, les copains d’école, merveilleux moments et grands défis. L’apprentissage du savoir et de la connaissance, la découverte de la mixité, de la collectivité , des autres et de toutes ces contributions vitales, invisibles à l’œil nu. Puis viendront se greffer d’autres séquences, d’autres personnages pour exister différemment. Que de belles échappées en perspective, et le cercle d’ondes circulaires et concentriques qui s’étale à la surface du clapotis des eaux dormantes.
De surprises en destinées, chacun se nourrit des autres et des rencontres spontanées, en amitié, en camaraderie, en complaisance, en familiarité, en fraternité et en amour. Sorte d’aboutissement de plusieurs années de mûres réflexions, sur la fragilité des finalités, sur le fait d’exister davantage à travers le regard anonyme d’inconnus qui parfois passent en simple coup de vent. Une certaine idée, sans doute édulcorée, de la réalité des rapports entre soi et les autres, bien plus difficile à connaitre et à apprivoiser. Besoin des autres pour se sentir humain.
D’un côté la sincérité des échanges forts et florissant qui renforcent et entretiennent les liens et cette indéfectible attachement aux racines ancestrales, et puis à l’autre bout ces rapports complexes, bourrés de clichés et de stéréotypes. Eldorado de terres promises qui font rêver, fantasmer, au point de s’inventer des personnages auxquels chacun peut s’authentifier à bon escient, avant de se faufiler dans cette légende qui porterait son nom. Croustillantes passions aussi salutaires qu’irraisonnées, la fièvre au corps. Et tous ces liens du cœur qui ne se réduisent ni au patronyme de transmission, ni à l’arbre généalogique, fatale trame des clans.
Gribouillis et ronds dans l’eau. Et si tout ceci n’était qu’un songe d’une nuit d’hier ? Clap de fin. Le générique qui déroule la trame d’une vie accomplie. Au casting, en lettres capitales les acteurs principaux, puis les seconds rôles et enfin tous les participants de cette comédie humaine.
Ceux qui ont traversé nos paysages l’instant d’un éclair et ceux qui s’y sont installés durablement pour quelques saisons. Ceux que l’on a profondément aimés et qui nous ont fait frissonner de tous nos délires. Ceux que l’on a détesté par dessus tout, et que l’on préfère oublier. Ceux qui ont laissé en nous une trace indélébile, qui ont cru en notre potentiel humain, et qui nous ont accompagnés dans le doute de nos perditions. Ceux qui, drapés sous le voile de la pudeur nous ont fait dépasser nos incertitudes. Ceux qui ont contribué à ce que nous sommes devenus. Ceux qui ont comptés et sur qui l’on a toujours pu compter. Ceux qui portent la flamme et qui un jour passeront le relais, témoins de cette épopée.
Ces chers, ces précieux, ces valeureux, ces amis, ces proches, ces intimes, rares, uniques et intarissables compagnons de route. Les liens de cœur pour le grand nombre, l’essentiel en somme. Une aubaine…