DES MOTS, BIEN PLUS GRAS, BIEN PLUS GROS

Publié par Vent d'Autan le

Les gros mots sont perçus dans toutes les langues comme grossiers, indécents, tabous. Ce sont d’ailleurs ces mêmes mots que l’on défend aux enfants d’utiliser dès leur plus jeune âge. Des expressions que l’on essaie de cacher, parfois même d’enterrer.

Pourquoi certains mots plus que d’autres, évoquent-ils à ce point d’acmé tel sentiment de fol attirance et d’ineffable beauté quand d’autres, plus effrontés, provoquent ce poncif de rejet et de laideur ?

Pourquoi se devraient-ils d’être reclus ou même bannis d’on ne sait quel blasphème pour être confinés dans les recoins obscurs de notre langage courant, déchus du domaine de la sémantique ?

Par quel appendice se sont-ils retrouvés exclus, affublés d‘adjectifs bien plus repoussants que leur simple consistance grammaticale, au point d’écorcher chastes oreilles et enchanter tendres chérubins?  Ainsi s’égarent les sens dans les arcanes libidineuses de la dialectique de la pensée.

Pourquoi donc ne point oser prêter plus d’attention à ces mots-dits vocables dont le chant lexical évoque illico presto dégout et abject, repoussoir et refouloir ? Intime plongée en cette exécrable sentine, où bassesse et dévergondage se heurtent à l’encontre de quelque céleste vertu.

Gras, gros, poisseux, visqueux, dégoutants, ragoutants, gluants, moches, laids, grossiers,  graveleux, obscènes, orduriers, répugnants, sordides, malpropres, abjects, ignobles, fétides, crus, honteux, grivois, licencieux, débauchés, libertins, croustillants, crus, salés, cochons, indécents, débauchés, immoraux. Au sein des nuées Olympiennes la richesse du langage parlé cru repousse toute forme d’interdit, s’affranchissant des barrières morales de la décence et de la retenue. Exutoire où s’épanche la déraison, pulsion d’extravagance qui anime l’opacité de nos noirceurs.

Quelle dissemblance de forme se camoufle entre les lettres, voyelles et consonnes confondues, selon que l’on les emploie, que l’on les déploie, que l’on triture du bout des doigts ? Gros mots, injures,  jurons et obscénités sont l’apanage des cours de récré, des automobilistes bloqués dans les embouteillages, des supporters imbibés de verve houblonnière, des râleurs manifestes, ainsi que du plus commun des mortels en proie à l’indigence outrancière parfois plus forte que son propre entendement.

De l’intégrale des jurons du Capitaine Haddock en passant par le langage fleuri d’Alexandre Benoît Bérurier, dit Béru , personnage éponyme de la série de romans policiers San-Antonio, ainsi qu‘aux tirades légendaires de nos Tontons flingueurs, truculents comiques usagers de la langue verte, langage libre et cru proche de l’argot, jusqu’aux bréviaires de carabins et autres opuscules de corps de garde exhumés lors de fêtes votives à partir d’un certain degré d’éthylisme mondain, les gros mots qui s’inscrivent en gras, entachés de cette liberté licencieuse, sans limitation du langage policé aux entournures de la dialectique sociale.

Entonnés avec brio les voilà qui surgissent comme bon diable en boite clamés haut le corps par le quatuor vocal des Frères Jacques dans l’art de combiner le chant et le mime sur fond de chansons paillardes. Ode à la concupiscence de la chair et du stupre, entre gaudrioles et grivoiserie, tous vices confondus. Trois orfèvres à la Saint Éloi… Sérieux s’abstenir !

Entre profane et sacré, jargon châtié et langage bien propret, les mots quels qu’ils soient, en dehors de toute connotation subjective s’articulent et gesticulent, fruits de nos paradoxes à la limite de la transgression. Subversifs ou permissifs, la dualité du chant lexical, entre bien et  mal,  corps et âme, Ying et Yang, unis et réunis en une seule et même unicité. Universels, intrinsèquement liés les uns aux autres, l’un n’allant pas sans l’autre.

Certains d’entre eux, à grand renfort d’usage immodéré, se sont dégrossis aux entournures, ponctuant l’élocution volubile des gens du pays de l’ovalie, fiers de porter l’accent en lieu et place des points virgule. Ô Toulouse, putain, con’g ! Aucune vulgarité en soi, juste une simple réappropriation des mots par on ne sait quel tour de passe-passe. Parfois au Sud, on est un peu à l’Ouest. Sans doute la faute à l’Autan qui rend fou certaines âmes sensibles.

D’autres tout aussi croustillants ont fini par entrer dans le très sérieux dictionnaire de l’académie Française, temple des érudits de la langue de Molière, dont la mission est de « contribuer à titre non lucratif au perfectionnement et au rayonnement des lettres ». Comme quoi, cul par dessus tête, l’exception parfois confirme la règle. À vos bons gros mots !