DÉROBADES CHAMPÊTRES
« Voir un univers dans un grain de sable et le ciel dans une fleur des champs » William Blake
Du haut de la petite colline surplombant les hauteurs aux alentours, tout à coup le tableau champêtre prenait vie, semblable à une bête sauvage à la lisière d’un faisceau de lune. Au seuil du monde, sous la grâce des courants d’air et autres influx tourbillonnants aux vagabonds lointains, le paysage et ses anicroches trop longtemps assoupis s’animaient contre le rebord des vieilles défroques, à contrario de ces esquisses de nature morte à la morne saison.
Par le battant entrebâillé des buissons épineux, tout encombré de sommeil, les belles tentures d’alcôve, fragiles comme les songes, se saoulaient de l’insouciance de l’onde accrochée aux chatoiements de l’aube. Plus loin à la lisière des ramages confus, les vocalises de jeunes piafs retentissaient à foison dans le petit matin empli d’air frais et de vapeurs odorantes. Vaste terroir, imprégné de la grâce à l‘épanouissement printanier.
« Le printemps est venu : comment ? Nul ne l’a su » Antonio Machado
De toute part la belle saison caracolait à tue-tête, égayant ça et là les remparts de grisaille de l’hiver moribond. Au sortir de sa trop grande nudité, pauvre défroque de dépouillement, la nature s’éveillait comme promise à l’éclat de cette farandole des beaux jours. Sous le feu du renouveau, bouffis de poussée de sève, d’intrépides bourgeons éclataient à vue d’œil aux quatre coins des manigances des saisons. Salvateur coup de pied dans la fourmilière.
Sous le bruissement des ombrages, les grandes herbes folles, entrelacs de fines étoffes et de chevelures d’ange, ondulaient, frêles, graciles, fluettes, guillerettes, un brin trouble fête, entre splendeurs et miséricordes de courtisanes. Complices des douces caresses du souffle sauvage, ivraies et autres ivresses se dandinant sans remue ménage au rythme de la folle syncopée du ballet aérien. Aiguillonnée par l’effervescence de cette frénésie, le souffle court, l’instant d’un bref soupir, l’agitation désordonnée se retint de respirer jusqu’à entendre la pulsation des cieux.
« Si vos oreilles émettent un drôle de bruissement, ne les frottez pas trop fort. Parce que dans la plupart des cas, ce sont les anges qui recousent les ailes sur vos lobes » Yoko Ogawa
Dans la bousculade des lambeaux de sommeil, les parterres fleuris jonchaient ce pittoresque tapis de verdure dont chacun d’entre nous avait presque oublié la vibration des chaudes couleurs brusquement sorties de leurs tubes de gouache. Chaque jour étant un nouveau spectacle aussi éphémère que la fureur torride des amants, gracieusement offert à qui voudrait bien s’y arrêter juste un instant de contemplation, prêt à s’y abandonner l’instant d’une intime rêverie.
Disséminées ça et là à travers champs au gré des prairies et autres pâturages, semblant quelque peu égarées en ces immenses étendues vert chlorophylle, quelques touches écarlates déposées sur l’œuvre picturale, venus égayer jachères et bords de route. Éclats de pétales froissés vermillon, fragments de cœur noir corneille flottant au gré des dissonances de l’Autan. Petites fleurs des champs. Éphémères beautés sauvageonnes. Splendeurs d’un teint cramoisi. Papillotes de braise rouge. Pavots à crête de coq. Symbole d’ardeur fragile.
« Jusqu’à l’horizon, tout était prairie et fleurs dans leur printanière érubescence » Jules Verne
Sans grand souci des méfaits se faufilant le long des murs de poussière, Morphée, divinité des songes, fils d’Hypnos, dieu du sommeil et de Nyx, déesse de la nuit, en fit grand usage pour endormir le plus commun des mortels, leur offrant un fardeau de chimères pour leurs longues échappées nocturnes, abreuvés de bienfaits relaxants. Blotti dans les bras de Morphée, voyager sur les chemins tapis de la piété de ces silences, sans autre demeure que nos esprits vaincus par force ou par ruse.
« Le repos muet habite ici. Du haut d’un rocher, coule un petit ruisseau d’eau du Lethé, il glisse avec un murmure sur les cailloux crépitants, son cours invite les Songes. Devant les portes de la grotte, des pavots abondants fleurissent, des herbes sans nombre. Dans leur lait, la nuit recueille la torpeur, puis l’éparpille avec la rosée sur les terres obscures. Il n’y a pas de porte qui grince sur ses gonds, pas de porte dans la maison. Pas de gardien sur le seuil. Au milieu de la grotte, un lot d’ébène est suspendu, de plumes, d’une seule couleur, couvert d’un voile sombre, où se couche le dieu, le corps brisé de langueur. » Les Métamorphoses- Livre XI-Ovide
Avec le retour des beaux jours une douce atmosphère, belle tranche de vie sur les ailes du vent saltimbanque. À l’arrière des toiles peintes de mains de maitres qui émaillent la terre aux couleurs chaudes, le soleil rasant semblant accroché à flanc de coteaux.
Sans cesse en équilibre, entre authenticité et harmonie, l’échafaudage des formes, les effets de matières, les nuances et les contrastes, le jeu subtil des lumières diffuses, déclinées à travers le relief des tourbillons qui secouent l’âme des peintres, inspirés de chaque instant, sublimant le moment, fustigeant l’instant. Palette émotionnelle, fruits des entrailles.
Vincent Van Gogh, Claude Monet et Gustav Klimt, tant de peintres ayant célébré la beauté des champs de coquelicots au travers de leurs œuvres figées dans la postérité. Chacun apportant un brin de poésie dans le mouvement du quotidien. Sans doute l’écrin du geste créatif.