CRISE DE FOI
N’en déplaise aux cieux et au bon Dieu, ici bas, nous ne sommes que de passage, éphémères papillons en quête de métamorphose.
Nous avions remis la tête dans la boite à souvenirs. L’authenticité des lieux avait conservé intacte l’empreinte patinée de ces délicats souvenirs. Un regard en coin quasi discret, une lueur à demi effleurée, un rictus au bord des lèvres, une mimique saisissable, même si les têtes avaient blanchi, derrière le masque des rides et des années accumulées, les visages et les figures apparaissaient comme une éclaircie dans la pénombre.
Les liens en sommeil se retissaient au fil des souvenirs de partage d’un passé ressuscité, chacun avait tracé sa route sur des chemins pavés d’enfers et de bonnes intentions, mettant souvent un genou à terre, plus ou moins sonnés, assommés par le gong d’une défaite annoncée. Divorce, chômage, dépression, maladie, deuil, multitude des accidents de vie, tragiques turpitudes de la destinée humaine. Quelques uns n’avaient pas résisté à l’ampleur des désastres, ceux qui restaient encore là avaient réussi, malgré tout, à se relever, à se tenir debout, avec cette force intangible de reprendre le douloureux flambeau de la vie.
Nous étions tous pôvres pêcheurs, mécréants face à l’Éternel, sanctifié, glorifié, crucifié par l’aveuglement des hommes. L’encens montait dans nos têtes jusqu’à suffoquer nos pleurs, exutoire à pardonner nos offenses comme si nous avions offensé, au son des cantiques et des alléluias, la grâce divine au péril de nos âmes souillées. Moribonds avant d’être pudibonds, mécréants soumis aux repentances expiatoires de la charité bien ordonnée.
Qu’avons-nous fait de mal pour implorer ici bas la délivrance, promesse d’une instance divine ? Serions frappés de malédiction soumis aux tourments du destin ? Serons nous absous astreints à quelque pénitence, enclins à cette place solennelle au Paradis des Anges ? Sainte Marie, prends pitié de nous… Que ta volonté soit faite !
Les figures de croix et les belles paroles d’Évangile retentissaient en heure de gloire, dans le chœur de la nef. Les vieux démons de l’Enfer nous extirpaient de nos torpeurs mortifères, scrutant nos pêchés mortels, le divin n’avait que faire de brebis égarées, la foi n’était plus qu’un leurre de pacotille, une illusion humaine pour conjurer le mauvais sort de chacun et affronter la destinée finale de tous, accepter l’inacceptable, lot de tout à chacun.
Il nous faudrait un jour tourner la page, s’en aller pour de bon, quitter cette terre d’infamie et laisser la place à ceux qui s’invitent dans le tourbillon perpétuel de la vie. N’en déplaise aux cieux et au bon Dieu, ici bas, nous ne sommes que de passage, éphémères papillons en quête de métamorphose.