CONFESSIONS D’ALCÔVES

Publié par Vent d'Autan le

« Par les jalousies baissées il venait assez de lumière pour accuser le désordre du matin dans la pièce » Aragon

Minutieusement grappillés au gré d’escapades plurielles, les clichés, condensés d’instantané, s’amassaient au tréfonds de l’espace fragmenté en mégaoctets. Rien de vraiment glamour, aux antipodes du charme intemporel des albums photos d’antan que l’on se plaisait à partager autour d’une tablée familiale. A présent ces instantanés d’émotions s’étiolaient dans leur solitude numérique des serveurs du grand Nord, sans qu’aucun pingouin ne s’en soucie. Petit monde figé d’un temps intime.

Sur la façade défraîchie de l’ancien Hôtel de Ville, en dessus du triptyque républicain frappé sur le fronton, l’aiguille de l’antique baromètre enrayée dans sa posture d’immobilisme. Par ici le temps semble s’être arrêté en cours de route, entre ces deux époques diamétralement opposées. Dans l’arrière cours du pays des chimères, le passé, pimenté des fluctuations du changement. A peine le tintement feutré des sonnailles du clocher-mur, érigé au 14° siècle sous la seigneurie de Gaston Fébus.

Pavées de plus ou moins bonnes intentions, les petites ruelles de la bastide invitent à la déambulation au fil de son labyrinthe exigu. Arcades de pierre de taille, façades à colombage, subtil mélange de boiseries et de briques foraines façonnées à la main qui apporte cette touche intemporelle à l’attrait empreint d’un autre temps.

Sous le charme des vielles bâtisses émergeant de l’obscurité jusqu’à tutoyer les cieux candeur pastel, le caractère authentique et généreux  pour s’imprégner de la beauté pittoresque des lieux et s’enivrer des fastes de son patrimoine vivant. L’impression de traverser les siècles pour un semblant d’éternité.

Volets clos. Suture au bord des parenthèses. Sur chacune des façades la convergence de réflexions qui interpellent l’ardeur vitale d’histoires de vie à la fois encore présentes et si lointaines. Comme par miracle, en ces lieux d’insouciance, les instantanés, petits espaces de temps, ressuscitent de leur rêves avortés.

Quelle est cette pulsion en ite qui s’en ainsi vient frapper à la porte des inconscients ? Pourquoi collecter de la sorte le spectacle désuet de ces battants défraichis par l’empreinte des temps, en écho à la patine d’individus forclos sous l’étrave d’affects chroniques.

Parmi tous les drames d’amour, de rivalités et de chagrins qui transpercent les liaisons les plus intimes, autant de liens fragiles et délicats suscitant confusions et sensations de vertiges entre nuances et nuées. Sous l’entremise des apparences, l’ombre des transparences. Mélancolie d’âmes perdues sous le voile de la pudeur. 

Comme une manière de repousser les sillages de l’horizon, de refouler l’entre deux. Espace entremêlé où toute ligne de scission devient invisible, voir quasi inexistante. Rédemption poétique de nouveaux espaces à défricher à l’intention de quidams assez fous pour se débattre de leurs propres ailes. Claustra, phobie des alcôves.

Rien de plus passionnant qu’une, voire même plusieurs paires de volets sur une façade d’apparence trompeuse, surtout lorsque ceux-ci, hermétiquement clos, séjournent à l’abri de quelque délectation du moindre regard en biais. Code secret de tous ces trésors d’imagination qui viennent titiller cette vive curiosité d’esprit à fureter son nez dans les affaires des autres. Impétueux désir d’en apprendre bien plus sans aucune nécessité.

Un monde à soi, rien que pour soi, retranché dans les nuances imprévues de tout regard inquisiteur, pour ne diffuser que le meilleur et se préserver du pire. L’obscur, bien à l’abri derrière ces persiennes censées protéger à la fois du froid et de l’effroi, de la canicule et de la chaleur humaine, des quatre vents et leur charivari anarchique, de la pluie comparse et des intempéries et autres inclémences de la vie.

Cloitré, cloisonné, prostré, prisonnier en son propre monde intérieur. Pour un instant de solitude, intense dialogue intimiste. L’expression de ce qui se tait et de ce qui sait, tu. Déboires d’un environnement bancal. En la profondeur des lames humaines, parfois il y a des ors oubliés qui transparaissent dans l’étrange reflet des abîmes dormants. À huis clos, compagnons du crépuscule.

De cette fenêtre censée s’ouvrir sur le monde, le voile diffus, jeté sur l’indécence de cette fausse pudeur, confuse, diffuse. Outrage d’un attentat dont les symphonies demeurent inachevées. Prétexte pour s’isoler, se mettre à l’écart, se couper du monde et de ses prétendues illusions.

Mise sous cloche à l’arrière de ces enceintes ceinturées de hautes palissades. L’égo à l’abri du logos tissé dans les fils ourdis d’une réalité en trompe l’œil. Atmosphère intime avec laquelle chacun affectionne le temps des ses propres silences. Illusions sensorielles.

Contrevents et marées, en dépit de ces obscures jalousies trop mornes pour laisser filtrer la lueur du jour, ces tempêtes de vie tissées d’injonctions sous couvert de loyauté familiale, quand la vérité se terre sous le tissu des mensonges, entre hypocrisie et sournoiserie. Décor aux multiples facettes d’existences passées au fil de l’épée. Saynètes ajourées dont plus personne n’a et ne souhaite se souvenir.

Mémoires et déboires enfouis dans le tourbillon de tables tournantes et autres jongleries spiritistes. Le bouleversant et le tragique sous la cruauté des affects qui se délitent en ombres chinoises. Tant bien que mal.

La vie n’est qu’un songe, les mots cognent contre les murs qui gardent intacte la résonance de ceux qui en ont imprégné la sphère théâtrale. Les liens, fils rouges qui relient les innombrables vérités de cette partition entremêlée de lamentos, de joies et de peines.

Repousser les volets, ouvrir en grand les fenêtres, trouver une place à la lumière des ombres. Corps à corps, une voie, une vie, en fond sonore du silence et du bruit. Paupières cousues. Lèvres mortes. Juste un battement de cil.

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