COMME UN CHARBON ARDENT DANS L’OBSCURITÉ

Publié par Vent d'Autan le

Les papillons noirs sont encore là, immobiles, recouvrant une portion du muret du jardin, mais je ne peux dire s’ils sont morts ou juste endormis.” Patti Smith

Des frileux lundis de désarroi de tout début de semaine jusqu’aux dimanches sanctifiés par quelques ouailles pieuses, les jours d’organdi, ayant perdu l’originalité de leur singularité d’éphéméride, filaient avec entrain la même toile de mousseline d’un semblable coton de brume. Ainsi se suivaient-ils à la queue-leu-leu, dissous dans un continuum de dramaturge élégiaque, engloutis au chant des crépuscules, dans la nasse de cet espace temps, au point de tous se ressembler, sans grande différentiation, sans plus aucune distinction.

Fidèles registres du quotidien qui relataient au jour le jour le fil des instants entre le flou et le superflu, ils n’étaient plus qu’une interminable succession d’ininterrompus sans grande importance, comprimés dans le flux et le reflux de la houle flottante des courants d’air.

Dans les cieux encombrés, les vents de grandes tempêtes hivernales entamaient une folle course poursuite, traquant sans relâche les moindres paquets de ouate entassés en amas concassés. Chacun s’était réfugié dans son semblant de bulle, pelotonné dans son recoin, apitoyé sur son sort, attendant avec une infinie patience, quelconque éclaircie ou mieux encore, diverse embellie, mais rien de tout ça. Au lointain point d’accalmie en toile de fond, juste cette insupportable attente, à ressasser les mêmes ressentiments, les mêmes émotions, indigestes.

Remplacés au pied levé par une escouade pantomime de chiffres romains aux accents berbères, le vénérable patronyme des mots de la semaine avait sombré corps et âmes, dans les tourbillons de cette obsolescence programmée à faire table rase de toute époque révolue, jusqu’au point d’en faire disparaitre la plus infime trace dans les moindres replis de l’inconscient collectif.

Qui se souvient encore de ces lundis de traîne, des mardis à la peine, des mercredis / jeudis de récréation, des vendredis de fin d’ennui et enfin de ces incontournables samedis / dimanches de repos dominical, symboles d’échanges et de partages autour de la Sagrada Familia ? On nous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne souhaitent pas connaitre…..

Ce qui s’était passé hier et ce qui aurait très pu advenir demain n’avaient plus cours, sans aucune raison d’être. La conjugaison des temps se limitait au strict minimum et à terme menait à l’abstraction des cycles de la vie. Congédiés manu militari à ce même et unique tempo : le présent, injonction contradictoire à la tempérance des instants.

Un présent replié sur lui-même, débarrassé une fois pour toute de ce passé mille fois ressassé, rabâché de tant de souvenirs défaits. Simple ou composé, le passé s’était ainsi défait de sa lancinante nostalgie. Point de remords, point de regrets, juste effacé, terrassé.

Territoire de mirages et de chimères, le futur, temps grammatical de tous les possibles avait subi le même sort, écharpé par cette restructuration temporelle de l’en même temps. Abolition des strates mémorielles, abstraction des origines, des racines, des identités, simple et radicale épuration éthique.

Dans le trouble de ces vertiges, passé et futur n’étaient plus en odeur de sainteté. Intrigués par cette défiance originelle sans commune mesure, du haut de l’Olympe, Chronos, Kairos et Aiôn, semblaient se divertir à outrance de ce nouveau jeu de dupes. Valse à trois temps au cœur de cette manière de voir le temps, et de le vivre.

A ciel ouvert, dans un fort joli pas de deux, le lent déclin des temps et des mots, munificents, au milieu de leur propre désordre. Lardées de nappes de brume, des pluies de blousons noirs, brouillaient l’interminable attente. Les vents hurlaient leur contrariété dans un monde illusoire, sans passé, sans avenir, sans illusions, sans grande infortune. Un monde insipide et fade qui ne rêvait même plus. Le temps n’était que vulgaire monnaie de singe. Ad nauseum.