CELUI QUE PERSONNE N’ATTENDAIT

Publié par Vent d'Autan le

« Il n’y a pas de fruit sans arbre. Et l’arbre est racines, tronc, écorce, branches, feuilles. » Maurice Bellet

Intimement liés l’un et l’autre, reliés l’un à l’autre, régis par la toute puissance de profonds mécanismes aussi obscurs que mystérieux, spiritus et corpus, identités bien plus que remarquables, concordent et s’accordent sur la même tonalité de ce tempo largo.

Corps et esprit à l’unisson, parfaitement synchronisés l’un à l’autre, réglés comme du papier à musique. Fabuleux ballet de cette délicate symbiose de lien d’attache, l’esprit qui pense et le corps qui danse. Pensées, sensations, émotions, actions, réactions, interactions. Psychisme et  gestuel étroitement liés, fusionnés l’un pour l’autre dans la dynamique du corporel et du postural.

Néanmoins, car dans toute harmonie aussi suave soit-elle, quelque part dans un recoin éperdu se terre toujours un bémol, nuance d’altération, petit grain de sable qui s’en vient enrayer le plus subtil des mécanismes aux rouages parfaitement huilés. Encombré par l’énormité d’une charge mentale de plus en plus stressante, l’esprit vient parfois à se personnifier en impitoyable tyran, déconnecté de toute interaction , naviguant en solitaire, électron libre au long cours, disposé en mode pilotage automatique. Alors la traversée se fait solitaire.

Soustrait de quelconque répartie, à cet instant précis l’humain en proie aux affects décérébrés, se perd corps et âme à travers  les labyrinthes de l’errance. En pareils instants s’entrouvrent quelques portes dérobées dont nul ne pouvait soupçonner pareille existence. Face à la décrépitude des forces morales, tout un univers s’écroule, chavirant vers l’inconnu. Où donc est l’issue ?

Une vie qui bascule dans la torpeur de la  nuit, un nouveau né fruit des entrailles, l’éclosion d’un petit intrus après neuf mois de déni, quand le passager se fait clandestin.  La puissance des ressorts de l’inconscient est telle que l’ampleur du bouleversement jaillit comme une brutale explosion, confrontation d’une réalité sans nom. Les derniers remparts de la crédibilité basculant dans l’indicible et l’insensé. Le déni ou l’art de l‘esquive. Processus exutoire définissant l’ensemble des « mécanismes qui consistent à refouler ou exclure hors de la conscience les représentations déplaisantes ou intolérables » Jacques Dayan. L’émergence de l’irrationnel, inéluctable et invisible fantôme de la perception.

Sujet encore tabou, dont l’interprétation reste l’objet de controverse, le déni de grossesse se définit comme le fait d’être enceinte sans toutefois avoir conscience de l’être. Certaines femmes portent en elles un enfant, parfois jusqu’à terme, enceinte sans le savoir ! Et pour cause : leur corps ne laisse ni rien deviner, ni paraitre ! Le déluge télescope cet impossible lien, déchu d’humanité. La chair, le sang, les émotions et l’ombre de cet intrus qui plane comme un doute.

Surgi des abîmes de l’esprit, le déni, habile en subterfuge et échappatoire, devient ce profond mécanisme de défense capable de nier totalement une perception pour protéger le psychisme face à une situation à laquelle on ne peut faire face, la réalité vécue étant inacceptable. Dans les mailles de ses rets, le déni, si massif et si envahissant, interdit et entrave tout passage des perceptions de la grossesse jusqu’à la conscience. Les mystères de la psyché humaine s’altèrent  parfois en insondables périples dans un océan sans phare, sans rivage.

En plein cœur du déni de grossesse, la gestation psychique se déroule tout autrement. Placée sous contrainte de l’engrenage actif et inconscient du déni, qui abrase les modifications corporelles, elle dissimule la présence de l’enfant et la réalité de sa venue au monde, tout en  interdisant à la femme d’entrer en relation consciente avec lui. La psyché contraint le corps au silence et empêche la communication avec l’enfant à naître. Le psychisme inconscient berne la femme et lui murmure en catimini: « Il n’y a aucun enfant dans ton corps ; tu n’es pas enceinte ! » Embrouillé dans les voiles du discernement, la notion du trouble de la gestation psychique s’implante, implacable déchirure.

Ces femmes, en pleine tempête émotionnelle, ne mentent pas, leur manière d’appréhender le monde n’est point de la même tonalité. La métamorphose qui conduit à la plénitude et l’accomplissement d’être et de s’incarner mère, loin de rassurer, peut parfois conduire au pire des désastres. Aucune d’entre elles n’avait vu arriver la pénombre, énigmatique angoisse. Comment peut-on être proche lorsque on se trouve si loin ?

Rien n’est plus impie que ces chairs écorchées dans le rugissement des déferlements. La vie dont on cherche la trace nous convie à ces rendez-vous, où puiser forces et certitudes, que nous nous devons à nous-mêmes. L’équilibre auquel chacun de nous aspire est rempli de grands et douloureux défis. Hors de l’empreinte du temps, la mesure de l’instant. Sentinelle des abîmes.

 L’enfant que je n’attendais pas