AVANT QUE LES LUEURS NE TITUBENT

» L’amour commence là- dans les fonds du désert. Il est invisible dans ses débuts, indiscernable dans son visage. » Christian Bobin
« Elle s’appelle Rachel. Elle me l‘a confié le tout premier jour… »
Au lointain, je l’aperçois, esquissée dans les lumières d’été. Aussitôt je la reconnais à sa longue silhouette effilée brodée de reflets changeants qui se découpe dans le bleu éclatant du ciel. Comme en apesanteur, elle semble flotter au dessus du parterre de pavés, soudain éclose d’un cocon douillet. Au gré de sa flânerie le rêve se prolonge en guise de fil conducteur, tintinnabulant ça et là entre élégance et légèreté sous les ballerines d’une ombrelle aux couleurs gourmandes. Sans trop forcer le trait, au milieu des badauds elle aimante les regards dérobés dans les plus grandes réserves.
La mer n’est pas très loin, on dirait presque le Sud. En ces lieux immaculés, à chaque heure du jour se révèle une part d’ombre où trouver refuge sous la caresse légère d’une brise marine. À deux pas du bord de grève, un silence envoûtant a jeté l’ancre et concocté un petit coin de paradis bercé par le vertigo des vents. Au sein de cette douceur azuréenne, entre flots et dunes la côte se confond en lignes de fuite. Tout en contraste, échoué au pourtour de l’horizon, le monde du silence raconte le quotidien des marins d’ici et d’ailleurs.
En toute discrétion, sous la fraîcheur de son voilage de lin brodé de fils d’or elle manifeste une certaine douceur de vivre puisée dans le souffle d’une audace vibrante de simplicité. Sous son sourire ingénu elle n’a pas son pareil pour déboussoler les ardeurs des plus intrépides. Tout autour d’elle, au détour des instants de vie le monde s’estompe en demi-teinte, abasourdi. Impossible de se détacher de sa démarche si singulière qui parfois me semble un rien cocasse, voir un tantinet rigolote.
Sous prétexte de frivolité empreinte de désinvolture à faire pâlir les anges, parfois son laisser aller la fait paraître quelque peu délurée, hors contexte, en dehors du temps. Mais avec elle tout semble si différent que je n’y prête plus guère attention. Sans doute sa façon si particulière d’incarner cette grâce du ciel.
L’éclat du blanc caresse avec douceur les teintes minérales des pierres chaulées. Quelques trouées dans le ciel semblent avoir été percées pour laisser filtrer la lumière. Au détour d’une ruelle abandonnée aux décombres urbains, sous l’anonymat des graffeurs de nuit bravant les interdictions, peinturlurés de frais les murs font soudain peau neuve, sensibles à cet esthétisme abracadabrantesque voué à disparition sous la pression des agents municipaux chasseurs de graffiti. Pour que rien ne puisse ternir le charme de cette carte postale au parfum d’antan.
Frêle libellule dans la tourmente là voilà qui marque le pas. Rebroussant soudain chemin, nimbée de cette candeur enfantine elle s’extasie face à la démesure de ces fresques improvisées à fleur de pierre, bouquet de curiosités éphémères qu’elle butine les yeux ruisselants de croissante euphorie. Face à face avec l’infini.
« Ah, te voilà ? Il y a longtemps que tu t’impatientes ? »
Je la regarde longuement, bouche bée, incapable de prononcer le moindre mot, fasciné par cette élégance qui lui sied à merveille, hypnotisé par le sublime de son naturel et de tout son tralala. Du fond de ses grands yeux de braise, la mer dépose l’écume de ses flots. L’instant d’une césure je souhaite que le temps se fige pour toujours.
Stupéfiante, toujours là où personne ne l’attend. Aussi inespérée qu’insaisissable, comme une caresse dans le vent. Qui est-elle vraiment ? Une illusion de légèreté ? Une apparition au cœur de la nuit ? Une étincelle céleste ? Un caprice des astres ?
Autour d’elle le monde n’est plus, dissous dans les chimères en suspens. Tous les sens en émoi, troublé par le flot de ces émotions surannées. Un long silence entre les battements de son cœur tandis que les jours s’éternisent dans un feu d’artifice de couleurs. La mer se retire au loin.