HASTA LUEGO ♫
« Je ne suis pas une icône, ni une artiste culte, je suis juste moi. » Véronique Sanson
À l’autre bout du piano ses longs doigts effilés effleurent en douceur une à une les touches du clavier. Exercice de chauffe, quelques notes évaporées au carrefour des étoiles. Silhouette éphémère, une ombre menue qui se glisse dans la pénombre. Comme surgie d’un ailleurs lointain, soudain révélée avec fragilité. Le charme et la grâce en filigrane. Avec elle c‘est toujours la même chose. Elle est la seule.
Crinière d’or, veste à paillettes, l’artiste en noir à l’épreuve de la scène. Timbre haut perché, tantôt cristallin, tantôt rauque, le son de sa voix transperce la nuit du bout de ses lèvres. Imparable rengaine, le petit manège fait tourner les têtes de la foule en effervescence. Venus d’ici ou venus de loin, les uns et les autres unis et réunis en cette même communion fraternelle pour la grand’ messe à contempler l’éclat de diamant. À découvert, son visage au teint d’albâtre, oiseau de vénus, résolu pour l’envol. Les gens de la nuit sont toujours là quand il faut, ils vous accueillent avec des rires et des bravos.
Impassibles rengaines qui vous trottent dans la tête, que vous fredonnez malgré tout et qui, en catimini, vous renvoie dans les coulisses d’un songe évaporé. Et à la moindre étincelle, l’enthousiasme toujours renaissant, les refrains entonnés, les mots que l’on connait par cœur à force de les avoir ronronnés au fil des années. Toujours la même histoire, une forme de folie douce qui bouscule l’insaisissable. Étrange comédie.
Volutes de croches à l’assaut du Zénith, entre arpèges et trémolos, la symphonie des chœurs qui s’envolent tout en haut des dernières travées. Encore tout estourbis les premiers rangs se lèvent d’un seul tenant, surpris par l’extase collective. Au rythme des sons débridés les corps se déhanchent, les créatures se trémoussent, la fièvre au corps. La foule danse, elle est en transe. Foule dense, ailée, entre anse, abritée des flots. Chanson sur ma drôle de vie.
Sous les riffs de guitare le ton monte d’un cran, la musique se déchaîne, les titres s’enchainent, carrousel de pépites parsemées au fil des glorieuses époques. Cheveux blanchis et bouilles juvéniles, le cœur à l’unisson symbiose des générations. Tandis que la batterie martèle son tempo, le feu des projecteurs balaie les contours de la scène soumise aux lueurs des éclairs. Séquences taillées au scalpel. Rythmique de basse syncopée. Saxophone, trompette et trombone tonitruants, le phrasé des cuivres ruisselle en proportions majestueuses. Éperdument orchestré le son déploie sa tessiture musicale. Percussions des mots chocs scandés au marteau pilon. Mais il n’est pas d’ici. Il est de nulle part.
À cet instant détaché du monde le réel se dérobe à pas de loup. Entre deux parenthèses, elle reprend son souffle pour les plus beaux mots de la plus belle des romances. Un sourire vient iriser son visage, ses grands yeux tournés vers les étoiles. Craquelée par endroits l’étoffe de sa voix fredonne l’amour au crépuscule des jours pâles truffés d’étranges blessures. Sentiments désabusés qui tiennent lieu de mémoire. Elle qui sait faire tanguer les âmes, les combler de nostalgie, de larmes et de songes endormis quand tout n’est plus que mirage. Il n’y aura plus de flamme, il n’y aura plus de femme. Je tire ma révérence.
Au tout dernier moment les musiciens s’estompent dans le contraste des coulisses. L’instant d’une brève accalmie ombres et reliefs dérivent dans le silence des grands espaces. Sous la voute céleste, l’étoffe nue de sa voix diaphane flotte lentement, chaque mot marqué d’un bémol, juste à temps avant que le charme ne se disperse. Sous le cône de lumière ce mélange irréel enfoui dans l’enchevêtrement des murmures. Infini don de soi pour cette muse d’un soir capable de vous étreindre de la sorte et vous souffler tout bas combien elle vous aime. Un moment de grâce à partager quelques battements de cœur.
Zénith Toulouse – 07 mars 2024