VOIX OFF

« Je crois qu’il faut mener plusieurs existences de front. C’est très important, vous ne pensez pas ? Tout cela était tellement étrange ! Cela provoquait mon esprit de contradiction et j’ai vite eu la réputation de ne pas me comporter comme une pop star.  » Marianne Faithfull

Dans la trouée du ciel, une étoile s’est décrochée de son firmament, sans grand chichi. Au faîte de la nuit, dans la plus intime des sourdines, l’écho de son sillage, indescriptible mélopée des Muses drapées de tulle noir. Surgi d’entre les ombres bleuâtres le souffle éperdu des sirènes antiques. Sous des lambeaux de voiles écorchés les chœurs d’Orphée entament a capella la ballade éponyme de Lucy Jordan. L’espace d’un instant la brise est tombée.

« The morning sun touched lightly on the eyes of Lucy Jordan

In a white suburban bedroom in a white suburban town

As she lay there ‘neath the covers dreaming of a thousand lovers

Till the world turned to orange and the room went spinning round.”

Émue aux larmes, cette voix rauque à l’inimitable timbre voilé, susurrée sur quelques grappes de velours. Distillée avec grand souci d’élégance cette tessiture si particulaire reconnaissable entre mille, tragédie et sensualité se confondant si bien en ce style qui est sien, tout en arabesques sonores. Les doigts à l’abandon au milieu d’une mèche de cheveux.

On aura tout dit, tout entendu, ou presque à propos de la belle égérie des sixties. Celle par qui scandales et odeurs de souffre frémissaient sous l’affût des amours perdues. Sans aucun doute que sans son indéchiffrable charisme le rock’n’roll en serait encore à ses tous premiers balbutiements, perclus dans les râles et les suffocations des pubs aux salles obscures, entre remous de pierres qui roulent et extases d’une sister morphine égarée dans les paradis artificiels.

 “Here I lie in my hospital bed

Tell me, sister morphine, when are you coming round again?

Oh, I don’t  think I can wait that long”

L’air transporte des bribes de musique, des sons venus d’ailleurs mêlés à la confusion des spasmes. Sur le seuil de la porte, à visage découvert l’heure qui décline le jour, mélange de larmes collées à ses paupières. Sous les envoutantes ballades la voix charismatique qui murmure les songes d’une femme sans voix,  en proie aux palpitations de cette existence dont le chef d’œuvre n’est plus maître. Lentement l’horizon se déploie, rendant le lieu immense, presque invisible.

 “It is the evening of the day

I sit and watch the children play

Smiling faces I can seeI sit and watch

As tears go by”