SÉMANTIQUE DE LA DIALECTIQUE

Selon le vieil adage, les paroles s’envolent au gré du vent et seuls demeurent les écrits, immuables, gravés à jamais dans une certaine postérité. Le dicton populaire ne saurait que trop mentir, et pourtant, l’oralité, promesse sonore énoncée de vive voix, tient une place prépondérante au sein de nos mondes et de nos modes de communications, faisant entorse aux codes établis.

Nous autres, humains, sommes bel et bien des êtres de langage, fruit d’articulations sonores et de résonances orchestrées. Au départ des premiers balbutiements du parlé, l’onomatopée faisait figure de compréhension mutuelle, semblable aux grognements érectiles d animaux sauvages. Homo sapiens singeait à merveille ses congénères des temps préhistoriques, s’inspirant du biotope dans lequel il tentait de survivre. Il aurait très bien pu, persister ainsi, reclus dans cette posture de rusticité animale, c’était sans compter sur la pugnacité du genre humain à vouloir communiquer l’enthousiasme de ce feu intérieur.

Les tous premiers grognements prirent le sens dialectal du vocable, s’étoffant de nuances, de couleurs et d’odeurs. La consistance des échanges primordiaux gagna l’épaisseur d’une dialectique inventée, structurée, exprimée, pensée. Les cris gutturaux, articulés avec  cette inébranlable conviction étoffèrent l’ampleur d’une oralité jusque là inexplorée. La parole prit l’ascendant,  les mots balbutiés sous l’allégorie des sons, sonnaient justes.

Le langage devint l’affranchissement du genre humain par rapport à sa part d’animalité. Si jadis, il se contentait de grogner et d’éructer à demeure, à présent il pouvait et il savait pleinement s’exprimer, se faire entendre et se faire comprendre. L’usage de la parole l’avait élevé bien au dessus du troupeau de ses congénères mammifères. La cohérence de ses pensées pouvait s’articuler et s’exprimer en toute conscience, en toute dimension, dans la clarté de ses propos.

Le langage, intarissable source d’échange et de commerce accéléra la création des liens sociaux tout en multipliant les rapports humains. Parler, communiquer, devint tout aussi vital que les actes les plus essentiels de la vie, tels que boire, manger, dormir. Face à une telle révolution, chaque petit groupe humain, chaque village, chaque ethnie inventa son propre langage, à l’image de son territoire proche. Autant de dialectes improvisés en patois local que de peuplades les plus reculées.

Au regard  de cette extrême multiplicité et complexité des langages, l’universalité en fût à jamais contrariée, les hommes, inconscients de leurs actes, venaient d’ériger la fameuse tour de Babel, produit de leur intelligence exagérée, toute puissance de l’orgueil humain. La pulsion vitale du langage syncopé au service de la parole superposée. Quand la logorrhée s’érige en totem de l’irrésistible besoin de parler.