QUAND S’ÉCLIPSERA LE SIGNAL

Publié par Vent d'Autan le

« Le cœur de l’homme est comme la mer, il a ses tempêtes, il a ses marées et dans ses profondeurs il a aussi ses perles » Vincent Van Gogh

Sous postulat d’anonymat, le hasard suit parfois le fil de chemins détournés. Ce qui ne s’apparentait plus qu’à un simple leurre se révélait au grand jour parole de vérité, vociférant de lucidité. Rien qui ne prédisposait vraiment à cet attrait si particulier. Romanesque fascination. Funèbre épopée d’un immeuble emblématique nommé sans équivoque « Le Signal ». Ou quand l’inconscient collectif  berne son monde.

Énigmatique à souhait, telle cette lueur occulte d’un phare perçant au lointain les brumes de la nuit. Une attirance magnétique, insondable mystère dépassant toute frontière de l’entendement. L’un et l’autre, l’un pour l’autre, et cette indescriptible alchimie sensorielle que rien ne saurait expliquer. Attraction qui grâce à la force de son imaginaire vous tient en haleine au sortir de son hypnotique léthargie.

Entre frissons et babillements, le chant ambrosien d’un signe. Funeste présage, annonciateur de la fin des temps. Songe prémonitoire. Face à la furie de la houle, la faiblesse des hommes en proie à la furie des éléments. SOS en détresse. Le Signal d’une fin annoncée.

En bordure de la dune, à l’arrière des ganivelles de châtaignier, l’édifice abandonné à la prouesse des vents. Entourée par les vestiges guerriers de l’Atlantikwall l’insolite silhouette aux lignes oblongues se détache au tout premier plan de l’horizon, déposée le long de la grève, en bout du front de mer où déambulent les passants fugaces.

En proie aux affres des temps et à la psychose de l’oubli, ce délire architectural, épave emblématique échouée d’un naufrage collectif. Décadence urbaine inspirée de l’utopie du purisme des années vingt, mouvement contemporain du cubisme. Quelques accointances graphiques aux colossales barres longilignes de la Cité Radieuse de Marseille, œuvre pharaonique du visionnaire bâtisseur: Le Corbusier.

« Là où naît l’ordre, naît le bien-être. »

Hélas, ici bas, en ces lieux de villégiature estivale, point de classement dans les tablettes de l’Unesco, juste cet arrêté administratif signifiant son prochain arrêt de mort. Mise au pilori, condamnation à l’oubli. Sommation de disparaître à jamais du cadre idyllique.

Excroissance virale qui selon les esprits échauffés encombre la vue panoramique. Surnommé « La Verrue » pour tant d’autres, pressés d’en découdre avec cet inextricable enchevêtrement, facétieuse allégorie de l’art abstrait dont nul ne s’est jamais vraiment accommodé.

Vision défigurée promise à la ferveur populaire en quête de farniente estivale, le belvédère surplombant l’immensité océanique n’a jamais recueilli grand engouement. S’attirant les foudres des acteurs locaux et des divinités marines, son aura demeure entachée de cette implacable destinée. Divine malédiction. 

” Chantons d’abord Poséidon, dieu puissant, roi des mers, qui fait trembler la terre la mer inféconde, qui règne sur l’Hélicon et sur l’immense ville d’Aigue…” Homère- Hymne XXI

Soumise à la pertinence des embruns maritimes, sa carcasse de béton ferraillé subit l’humeur des saisons chargée de cette moite salinité qui à petits feux grignote la folie ordinaire des hommes. Laminée par la morsure des tourments du grand large, son épiderme flétrit et se boursouffle, perdant l’éclat de sa virginité.

 Plissée en ses interstices, sous sa carcasse dépouillée de sa fraîcheur fragile et fugitive, l’usure des temps, chagrin des plis de l’âme. Promise à l’abandon, elle gît inerte dans les mirages de paradis perdus. Vaisseau fantôme dévasté par une force invisible dont la signature porte la griffe des cycles de l’érosion.

 À l’assaut des ces encombres, outrepassant les grillages qui font office de clôtures, certains s’y aventurent avides de sensations fortes. Que de traces de pas furtifs crissant sous les bris de verres. Pillée, souillée, saccagée, vandalisée, violée jusqu’au tréfonds de son âme, la bâtisse ne cesse d’apprivoiser la décadence de ses rêves effervescents. Déchets, détritus, excréments, murs tagués, portes éventrées, fenêtres cassées, faïences déglingués, scories de certains reniements passés sous silence. Collusion avec le néant.

Le bruissement de l’écume, le fracas des marées, le chahut des oiseaux, les stridulations des rafales, l’exaltation de ces bruits qui se mêlent au paysage endormi. Parfois une atmosphère particulière s’attache aux lieux qui ont une histoire fanée avec le temps. Sombrant dans les draperies du doute et de la mélancolie, le vent brasse l’immense et le ressassement. En touchant la candeur de l’horizon les oiseaux blancs adviennent songes.

Dans le repli des lueurs du couchant, lorsque l’océan se retire en dépouillant la nudité de la grève, face à l’austérité de cette morne solitude, sa silhouette dépouillée, majestueuse. Déraisonnable beauté en proie aux déchirements. Dans l’ombre de son abandon, l’hallucination d’un rêve avorté. Le 3 février 2023 débutait le chantier de démolition de l’immeuble. Fin d’une valeureuse épopée.

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