PEU IMPORTE LES REFLETS PATINÉS PAR LES VENTS

Publié par Vent d'Autan le

« Quand le temps s’arrête il devient lieu. » Chawki Abdelamir

Sans que l’on ne sache trop ni comment ni pourquoi certains lieux à la lisière du monde, prennent grand soin de préserver l’intégrité de cette douce harmonie du passé, indifférents à la fuite perpétuelle des temps. Inscrits dans la postérité d’un lointain héritage ils déclinent à merveille l’authenticité d’un instant suspendu entre les saisons, comme unique source d’inspiration de ces petits recoins de paradis.

Non loin de là, à l’écart de toute fioriture profane, débordant d’un charme indéniable, ce petit havre de tranquillité encore dans son jus, mythe de l’esprit bohème d’une époque apte à raviver cette atmosphère si particulière. Entre calme et volupté rien ne semble perturber la continuité des lignes d’épure entre lesquelles souffle un vent de nostalgie. En cet écrin empreint de teintes apaisantes l’indémodable trace de fragments de vies ponctués d’éclats de front de mer.

Hors des sentiers battus, à l’abri du chahut de la circulation, c’est un lieu assez rare et décousu où dans l’immensité des vastes panoramas s’entrelacent le ressac des flots et la marée des hommes issus de terres lointaines. Entre mer et lagune, la Pointe Courte, quartier mythique de Sète, port antique de la Méditerranée. En toute simplicité, le charme raffiné en osmose avec les éléments défiants les grands espaces de liberté.

Au pied de la colossale architecture métallique du nouveau pont Sadi Carnot, et face à l’impressionnante bâtisse de la station marine côté Pointe Longue, l’emplacement assez improbable de ce quartier lilliputien lové en bordure de cette zone grande ouverte sur la lagune, tout à la fois si proche du majestueux canal Royal menant jusqu’au rivage de la mer Méditerranée. D’un thème à l’autre, différentes palettes de couleurs pour combler les sens les plus exigus par petites touches expressives se fondant en ce paysage où le ciel embrasse la mer en  camaïeu de bleus.

Véritable oasis de quelques arpents de terre blotti entre la gare ferroviaire et l’inextricable nœud routier, la Pointe s’avance jusque dans l’étang de Thau comme la proue d’un navire. Chargé d’histoires de marins et de pêcheurs, l’endroit,  joyau de lueurs maritimes, conserve jalousement un accès des plus discret, comme pour préserver au mieux cette intimité à l’ambiance si épurée.

Si la quiétude des lieux invite à la flânerie et à la déambulation entre les discrètes ruelles aux noms si caractéristiques, la Pointe Courte perpétue avec pudeur une certaine douceur de vivre emprunte d’un temps aux contours délavés. Incontournable terreau ancestral de son charme insulaire, la touche chaleureuse d’un minuscule microcosme implanté en ce décor bucolique. Dans l’esprit du modeste village de pêcheurs, cet écrin épuré à la beauté aussi pittoresque qu’authentique.

Bric à brac de bric et de broc, ici se côtoient maisonnettes aux façades chatoyantes sous le soleil, cabanons atypiques implantés ça et là au gré d’humeurs anarchiques , filets de pêche, capéchades tendus sur des fils, flotteurs de pêche en liège, nasses et casiers à tresse métallique , bateaux à quais et à flots, mistigris errants, matous en goguette, nuées de mouettes insouciantes, pêcheurs de dorades, joueurs de boule et autres locaux à l’accent chantant. Une liste à la Prévert d’un îlot de la dolce vita.

« Excusez ce joyeux bordel, mais ici on vit !!! » Le ton est donné. Incontournable refuge où se côtoient artistes excentriques, peintres barbouilleurs de toile, poètes aux étoiles, rêveurs éveillés, utopistes débonnaires, clochards célestes et autres personnages atypiques hauts et forts en gouaille. En contre-jour, dans l’encoignure d’une ruelle, l’ombre furtive de l’ami Georges qui affectionnait tant ce quartier de pêcheurs immortalisé par Agnès Varda. Ici les bonnes âmes chérissent les lieux, tandis qu’au lointain pépient quelques arpèges égrenés au fil du vent.

« Non, ce n’était pas le radeau de la Méduse  ce bateau… les Copains d’abord, les Copains d’abord. »

De nos jours encore, au sein de son enclave ancestrale  la communauté des « Pointus » conserve  les marques de son passé jalousement gardé. Ici bas nul besoin d’inventer la machine à remonter le temps, juste s’immerger dans les méandres de ce labyrinthe. Ce n’est point un lieu de vie conventionnel, mais un espace de vie privilégié où circuler librement prend le sens de la démesure du lieu.

Le petit port de pêche ancestral, les cabanes de fortune, l’air vif des embruns, les cris stridents des oiseaux de mer, l’odeur de poisson frais,  la douceur de vivre, un espace où il fait bon se lover, à l’écart du temps des horloges et de la maussaderie du quotidien. Les beaux jours vont arriver. Carpe diem…