L’AUBADE DES GRANDS ORGUES

Publié par Vent d'Autan le

« Nous vivons dans un arc- en- ciel de chaos » Paul Cézanne

Frappé par la grande solennité de ces paysages qui ne cessent d’évoquer le chaos originel de ce que fut notre planète à l’aube des temps, sans que l’on ne sache trop ni pourquoi ni comment certains lieux subsistent dans le silence de la contemplation, empreints des énergies de la Terre Mère dont les convulsions enfantent et enchantent la vie.

Encadrée par trois massifs aux pommettes proéminentes, aux portes du Conflent la vallée étroite du Ribéral s’évase vers l’Est pour ensuite se répandre jusque dans la rase plaine du Roussillon. Campés aux confins de l’horizon les Pyrénées grimpent allègrement vers des hauteurs bien plus vertigineuses. En toile de fond culmine le pic de la dent du Chien, Canigó l’imposante montagne des Catalans, dernier grand sommet de la partie orientale de la chaîne frontière.

Premiers contreforts au pied du Canigou, le massif des Aspres, ensemble de collines aux pentes abruptes principalement composées de schistes, roche imperméable qui manifeste l’aridité du lieu. Ce côté sauvage, brut et préservé reste l’apanage du terroir des Aspres.

Plus au Nord, en bordure de la vallée du Têt, le plateau granitique de Montalba au relief ondulé et entaillé par de petites vallées. De ce territoire tumultueux, au gré des révélations émergent divers tors et autres blocs de granites monumentaux empilés en chaos, alternant avec vallons marécageux, cuvettes de déflation et autres grandes alvéoles circulaires, témoins privilégiés de l’ère de la création du monde. En son sein la terre préserve les empreintes, les cicatrices, les stigmates qui favorisent la restitution des temps passés, des vagues de vie qui se sont succédées.

À la croisée des lits défaits des ruisseaux de la Reixte et du Pilo d’en Guil dont on peine à esquisser les contours, le sommaire chemin pierreux serpente tout en douceur entre ce maquis ourlé de chênes verts, de chênes pubescents, d’oliviers centenaires et d’eucalyptus à l’écorce écaillée. Source d’inspiration ce festin visuel offre un sentiment de sérénité et une formidable opportunité de s’évader dans les errances de l’inconnu.

Souvent à sec, lors des orages d’automne les cours d’eau se transforment alors en véritables torrents impétueux. En ce territoire trop souvent négligé des miracles de la pluie, poussière et désolation soulignent les traits forcis de cette enclave recluse à l’orée du monde.

Autrefois, en d’autres temps d’une époque à présent révolue, des familles entières d’immigrés espagnols et de migrants locaux installées en ces terres hostiles ont tenté tant bien que mal de mettre en culture cet endroit qu’ils baptisèrent « el vall del infern » la vallée de l’enfer. Face à l’âpreté des éléments la vie ne promettait que misère et dénuement, à contrario  du restant de la vallée du Têt, bien irriguée, fertile et couverte de pêchers dont le nectar en ont fait la réputation.

“Ici, les cartes postales ne s’achètent pas, elles se vivent »

 À mi-chemin entre mer et montagne, tel un amphithéâtre aux parois ouvragées, le site des Orgues offre au regard un panorama exceptionnel composé de tuyaux d’orgues, de canyons et d’entrelacs, formation géologique de sable et d’argile résultante de l’érosion de roches sédimentaires vielles de quelques millions d’années.

Prodigieux paysage aux reliefs sculptés par la ténacité des eaux ruisselantes, au plus près de cette lumière sobre et épurée diffusée à travers la poésie du ciel.  Par ici rien ne semble vouloir se métamorphoser et pourtant en y regardant de plus près on mesure combien l‘influence des éléments joue un rôle primordial dans le façonnement de ce paysage de carte postale.

Véritable panorama enchanteur que cette étonnante dentelle de sculptures tout aussi vulnérable que gigantesque, d’une élégance sans pareil les « cheminées de fées » ne cessent d’enchanter l’imaginaire.Fragiles et éphémères, vouées au sacrifice des intempéries elles soumettent ces falaises de sable et d’argile à la brutalité des mauvais temps.

Tel un artiste aux mains d’or, l’érosion n’a de cesse d’entailler, de griffer, de sculpter, de ciseler la matière de profonds sillons, de larges échancrures  et d’étroites stries jusqu’à façonner la roche pour lui donner cet aspect minéral de dentelures écorchées. Minutieux labeur d’orfèvre.

Amoncellement de rochers tourmentés, reflets pierreux rehaussés d’un trait d’arrogance,  lumière bâillonnée sous les regards incrédules, à flanc de précipice le bleu point du ciel. De ce côté ci les colonnes que l’on croyait bien ancrées en terre ferme semblent se déchausser de leur délicate assise. Point d’empoignade, point de clameur, juste ce précaire numéro d’équilibriste à l’assaut des hauteurs. Prodigieux essor qui exhorte les falaises, les voûtes et l’ensemble de l’édifice vers le firmament étoilé.

Comment ne point être subjugué par la  grâce et la splendeur d’un tel spectacle à ciel ouvert. Alentour n’est guère piété face à l’étourdissement de cette création divine, chef d’œuvre de l’accomplissement céleste. À contempler avec extrême minutie chacun des détails dans les lueurs éperdues, on ne peut s’empêcher de penser que Gaudi se soit inspiré de la sacralité des lieux pour édifier son temple expiatoire de la Sagrada Familia.

Hors du temps les lieux vous  transportent avec l’invincible exaltation des chantres poussés à accomplir le dessein du Créateur enraciné dans l’âme. Certains soirs de grand chambardement, dans les profondeurs de la nef, on peut percevoir la complainte de la tramontane jouant sa propre partition au travers du palais des orgues. Symphonie des éclairs.

 « Sais-tu pourquoi l’amoncellement des rochers devant toi te rend silencieux et plein d’une étrange percipience ? »

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