Richard Bohringer

Je vais. Pousse la porte. Crispe les bras sur la table. J’écris. J’écris enfin.

J’ai appris à écrire sous une tonnelle de roses blanches débouchant sur un potager fleuri où les verts acides des poireaux se mêlaient aux rouges anémiés des carottes trébuchantes. J’ai appris à écrire sous une tonnelle blanche la nuit, dans le silence, à la limite du cri, et mon cœur battait au rythme des mots que je jetais comme des paysages dont la flamboyance me laissait pantelant.

J’ai appris à ne plus écrire avec cette putain de drogue, à inventer chaque nuit une nouvelle histoire qui ne verrait jamais la vie. J’ai appris à mentir pour écrire, à me prendre pour un maudit, à tout dire pour qu’il ne me reste rien à écrire. Écrire relève de l’espérance. Tu mets la virgule là où tu veux que ça freine et le point là où tu veux s’arrête. Quand tu veux laisser ton idée faire son chemin sans toi, tu rajoutes quelques points.

Quand tu t’étonnes, tu peux t’exclamer, c’est pas obligé. Et puis le reste, tu laisses à ceux qui veulent tout expliquer .

Un vieux vent tournait dans ma tête depuis trop longtemps, un vieux vent qui disait le bonheur de vivre, la douleur d’écrire et son parfum serein quand la phrase s’invente et coule miraculeusement comme tu la veux. J’ai senti que je disais adieu à ma vie passée. Les lacs m’ont toujours inspiré de sourdes décisions. Les lacs avec la montagne derrière. La montagne grande qui ne peut se tromper.

J’étais comme ça au bord du lac Léman. Avec de vagues souvenirs de phrases de poète aimé. Et puis de vagues relents d’un certain talent. Les poètes aimés me le susurraient avec amitié. La lumière changeait, la nuit venait et j’étais toujours loin derrière mon enfance. Je n’en revenais pas d’être là. D’avoir déjà fait tout ce voyage.