LA NUIT DÉCHUE SUR NOS ÂMES
Le ton désabusé de tristes héros de l’ombre, qui ne croient guère plus aux lendemains qui chantent. Fable apocalyptique, troublante vison d’un avenir voué à l’éclipse de nomades qui fendent les voiles du silence. Ainsi voguent les destinées macabres. “N’oubliez pas l’hospitalité, car c’est grâce à elle que quelques-uns, à leur insu, hébergèrent des anges. ”Lettre aux Hébreux 13, 2
A force de ne plus les regarder droit dans le blanc des yeux, et de les acculer manu militari dans d’innommables zones d’effroi, on finit par ne plus les percevoir. Silhouettes anonymes dissoutes corps et âmes dans des lambeaux de brumes. Chacun porte en eux les stigmates de la déchéance. Humanité désenchantée.
Malgré eux, sans bruit et sans artifice, en catimini, ils s’effacent dans le silence de nos profonds mépris, jusqu’à totalement disparaitre de nos esprits biaisés par les multiples écueils de nos préoccupations viscérales. Funeste et douloureux repli sur soi.
Face à l’effroi de nos détestations, ils deviennent invisibles au point de n’être plus que l’ombre de leur douloureux exode à travers les contrées inhospitalières. Sans cesse repoussés vers d’autres frontières, vers d’autres drames, sans jamais parvenir à quelconque destination. Nomades au cœur ce no man’s land.
Fantômes de nos angoisses, vents pires de nos cauchemars, bercés de désillusions, ils errent sans fin à la dérive des continents. Sans patrie, sans abri, sans papiers, sans visages, sans identité, sans avenir, sans horizon, sans lendemain, sans raison d’être, cent prétextes de ne plus exister. Spectres déracinés, au bord des abîmes.
Du bord de la grève, en contre-jour, se découpent les contours des falaises sépulcrales de cette terre promise, but ultime de cet exil de longue haleine. L’ombre est immense et captive de nombreux curieux. Au travers du bleu de chauffe céleste, les nuages s’entrechoquent, anticipant la tourmente de l’orage imminent. A tire d’ailes, une nuée de mouettes désinvoltes caracole dans le tourbillon des vents. Sous le remous des rafales la tempête se lève d’un seul tenant, et la mer cambre les vagues, faisant tanguer le frêle esquif. Périlleuse traversée des eaux saumâtres.
Sur ce radeau de mauvaise fortune, les êtres en exil s’accrochent au péril de leurs vies. Le ton désabusé, rêves fracassés dans l’écume de la houle du grand large. Souverain des mers, en ces flots tumultueux, Poséidon y engloutira quelques âmes perdues à jamais. Naufrage des libertés. Funeste destin de migrants. Fantômes qui hantent encore les mémoires. Excès de zèle patriotiques. Chienne de vie.