ÉTENDARD D’UN IDÉAL
« Le temps de poétiser un monde médiocre et desséché est plus que venu ». Cyril Dion
Aux fondements de la République, dans un ouvrage fondateur, Platon, penseur de la liberté effective, posait les grandes lignes d’une cité imaginaire désignée par Socrate comme » La cité véritable « Callipolis. Ainsi au sein du tumulte de l’agora les philosophes grecs s’accordaient déjà à esquisser un nouvel horizon à l’orée du monde.
Par les temps qui courent après de folles illusions obnubilées par la performance au détriment du collectif, le concept antique reste avant tout l’apanage de rêveurs ou autres illuminés en mal de vivre. Quoique l’on puisse entreprendre la vision sociétale du vieux monde s’accroche coûte que coûte à ses valeurs intrinsèques, héritières du patriarcat le plus primitif, quitte à briser dans l’œuf les graines de rêves avant qu’elles ne germent au grand jour en quelques esprits retors. Pour qu’aucune nouvelle pensée ne puisse émerger.
Certains, à grands coups d’éclats médiatiques, affirmeront au grand jour que rien n’est plus dangereux que le changement, qualifiant les partisans du renouveau de qualificatifs les plus barbares ou autres noms d’oiseux peu recommandables, comme s’il fallait à jamais se résigner à capituler face l’emprise des souverains, gardiens du temple agitant les peurs les plus tenaces. Pour que rien ne bouge, pour que les uns façonnent leur idéal au détriment des autres, condamnés à subir continuellement la dure loi du marché. Horizon bouché. Aucune perspective d’avenir. Cruelle malédiction.
Toutefois, malgré le pessimisme voulu ambiant, de grands penseurs bousculent un temps soit peu l’entendement à contre courant de la pensée unique. Quant à ceux qui douteraient encore se souvenir qu’en des jours meilleurs des hommes ont un jour pu imaginer un monde différent, un monde novateur, bien plus audacieux, bien plus solidaire, bien plus fraternel, bien plus enclin au partage, bien plus respectueux des valeurs universelles qui lient et relient le destin des citoyens du monde.
Que dire de la ferveur fraternelle de Stéphane Hessel, icône du début du XXI° siècle. Homme aux plusieurs vies, toujours dans un même et ferme engagement, dont le très large écho rencontré par son cri d’indignation a soulevé un immense espoir tout en donnant à des milliers d’indignés cette légitime visibilité. « Indignez-vous ! » Contre les inégalités de plus en plus féroces entre très riches et très pauvres. Contre l’état de délabrement avancé la planète bleue. Contre le traitement fratricide des sans-papiers. Contre la dictature de la finance. Contre la course au « toujours plus « . Stéphane Hessel, indigné.
« Aussi, appelons-nous toujours à une véritable insurrection pacifique contre les moyens de communication de masse qui ne proposent comme horizon pour notre jeunesse que la consommation de masse, le mépris des plus faibles et de la culture, l’amnésie généralisée et la compétition à outrance de tous contre tous. » Stéphane Hessel
Aux antipodes du tumulte des grandes cités, en ce petit coin perdu au cœur des Cévennes, Pierre Rabhi, le paysan philosophe, précurseur de « la sobriété heureuse » qui a su faire rimer espoir et utopie. Pionnier de l’agroécologie, pratique agricole visant à régénérer le milieu naturel en excluant pesticides et engrais chimiques. Porte-voix du mouvement des « Colibris » appelant chacun à « Faire sa part », à l’image du petit oiseau mouche chaque individu devant apporter sa propre goutte d’eau afin de maîtriser l’incendie. À l’aube d’un crucial besoin de changement des modes de vie, il définit ce qu’il appelle l’insurrection des consciences et pose la question de l’engagement et de la responsabilité de chacun.
» L’utopie n’est pas une chimère, mais le “non-lieu” de tous les possibles. Face aux limites et aux impasses de notre modèle d’existence, elle est une pulsion de vie, capable de rendre possible ce que nous considérons comme impossible. C’est dans les utopies d’aujourd’hui que sont les solutions de demain. La première utopie est à incarner en nous-mêmes car la mutation ne se fera pas sans le changement des humains. » Pierre Rabhi
Encore plus haut, au sommet de la voûte céleste, juste une poussière d’étoile, Hubert Reeves , chroniqueur des atomes et des galaxies. Après avoir écumé le ciel, l’astrophysicien, ardent défenseur de la biodiversité, s’est passionné pour la Terre, consacrant son combat pour garder notre planète habitable et plus agréable à vivre. De l’infiniment grand jusqu’à l’infiniment petit il redessinait les constellations qui tapissent la toile de fond au dessus de nos têtes. Mortels, simples mortels.
« Je ne sais pas si la vie a un sens, mais nous pouvons lui en donner un » Hubert Reeves
Malgré le vide abyssal laissé parleur absence, chacun d’entre eux nous laissent un précieux héritage et surtout une belle leçon de vie, inspiration de devenir dont chacun peut s’inspirer au travers de leurs nombreux ouvrages. Bien d’autres ont repris le flambeau, portant toujours plus haut la flamme de l’espérance. Du haut de son siècle, Edgard Morin, l’éternel insurgé qui ne cesse de nous mettre en alerte, estime qu’une nouvelle Voie est possible pour le bien être de l’humanité. Toujours à l’avant-garde sur le devenir du monde il est cette sentinelle des savoirs qui veille à combattre la doctrine du fatalisme.
« Je suis extrêmement inquiet mais je ne suis pas fataliste parce que je pense que l’imprévu arrive. Une de mes maximes c’est « Attends-toi à l’inattendu ». […] Je continue à prêcher dans ce que j’appelle le désert, c’est-à-dire mon message se disperse comme les graines d’un arbre. » Edgar Morin
Et enfin Cyril Dion, écrivain et réalisateur qui à travers ses multiples engagements propose un nouvel imaginaire, bouffée d’espoir d’un monde nouveau, celui d’une civilisation plus juste, plus mélodieuse, plus en harmonie avec l’âme du monde. Sillonnant le globe à la rencontre de ceux qui ont révolutionné une région, un pays, une activité. Ces femmes, ces hommes, ces anonymes qui par leurs actes ont régénéré la terre, les océans, créé les écoles de demain ou encore esquissé la démocratie du futur. Tous ces citoyens sans frontières qui au quotidien se mobilisent pour offrir un second souffle à l’humanité. Nouvel élan fraternel.
» Le temps de poétiser un monde médiocre et desséché est plus que venu ». Cyril Dion
Avec de si et des mais, pour que l’utopie ne demeure point qu’un simple rêve de papier. De toutes parts de multiples initiatives aussi infimes soient elles voient le jour, même si le changement peine à percer par delà la pénombre. Oser, résister, créer, bousculer, plus que jamais toujours croire en ses rêves. À cœur vaillant rien d’impossible, juste quelques brins de folie dans cet infini de sagesse. L’utopie, balise dans un monde en perte de repères, n’est point une simple vison de l’esprit mais une réelle nécessité pour que perdure le récit lumineux qui maintient l’harmonie de l’Univers. Y croire, allez plus loin, allez plus haut, tutoyer les étoiles avec Hubert Reeves. Comme une urgence à vivre. À portée de main défricher le champ des possibles, éveil des consciences. Utopie, étendard d’un idéal.