ENTRE PARENTHÈSE

Publié par Vent d'Autan le

« Le destin a coutume de donner d’étranges rendez-vous » Alessandro Barrico

La grande horloge du café sonne cinq heures. Chacun reste coi, accroché aux silences entre les mots, à l’écart du bruit du monde.

Toi…. Il y a longtemps que tu m’attends ? Pardon…

Le temps n’a plus guère d’importance. Pour moi c’est devenu presque comme une habitude, ancrée dans la continuité des jours. Une sorte de rituel immuable auquel je me suis accroché et qui a fini par donner un sens à ma vie.

Mais tout ce temps. Trente cinq ans tout de même !

Au plus profond de mon for intérieur, j’ai toujours su que tu viendrais à ce rendez-vous. Qu’importe le jour, qu’importe l’année, j’avais la certitude que tu serais là, apparemment je ne me suis pas trompé. Tu sais, l’espoir est une bouée de sauvetage qui permet de ne pas sombrer dans les flots impétueux de la mélancolie.

– Je suis désolée…Sincèrement désolée. Je n’ai rien voulu de tout cela.

Ne te blâme donc pas. Qu’importe la ou les raisons, je me suis fait à l’idée de te retrouver en ce lieu, tout comme au premier jour. Tu t’en souviens ? J’ai encore la saveur de ce tout premier baiser. Un délice de sensualité.

C’était à l’aube du printemps. Entre deux rais de soleil, l’averse soudaine nous avait poussés à trouver refuge ici même. J’ai conservé précieusement chacun des instants de notre première rencontre. Les émotions, les sensations, l‘exaltation soudaine ainsi que ce trouble à peine esquissé. Tout est resté intact, reclus dans le jardin secret de mes souvenirs. À fleur de peau, à fleur de mots.

Je reconnais bien là cette pulsion vitale qui a si bien su enjoliver le fil de ton existence. Rien de plus intense que cet épisode romanesque n‘est venu combler ce vide abyssal. Attendre, encore et toujours, comme si l’horloge s’était arrêtée sur ce temps suspendu aux heures silencieuses.

Je voulais te dire…

Interrompant leur causerie au plus près de l’intime, le serveur leur apporte deux tasses de café. À travers les spirales de fumerolles, leurs regards se cherchent, puis se croisent jusqu’à se rencontrer à la croisée de ce destin chamboulé. Face à ce tourbillon d’illusions, la caresse de deux mains vibrant de fol espoir. Parenthèse sur la houle.

Comment lui expliquer l’inexplicable ? Allait-il croire à cette histoire insensée de correspondance oublié, négligée au fin fond d’une boite à lettre et retrouvée par on ne sait quel miracle ? Et puis à quoi bon vouloir à tout prix se justifier de cette si longue absence, de ce rendez- vous manqué ? Pourquoi remuer ce passé tortueux et son flot de contrariétés et d’empêchements ?

Rompant avec la douceur de cette rencontre, un long soupir à l’ombre de l’implacable nostalgie des jours heureux. Comme pour se déjouer des aléas du destin. Bribes de passé, insaisissables et mystérieuses, qui bousculent les âmes au plus profond de leurs retranchements.

Tu es enfin venue, c’est l’essentiel. Le reste est sans importance. Je m’éveille d’un long sommeil, d’une léthargie sensorielle. La réalité dépasse enfin la fiction pour nous amener au-delà du temps tout près des astres.

Malgré le fardeau de toutes ces années, tu n’as guère changé. Même posture, même attitude, même rictus au coin de ta bouche, et dans les profondeurs de ton regard tout le bleu confondu du ciel et des océans. À y perdre raison…

Je te dois une confidence. Bien avant de franchir le pas de porte de ce café, mon cœur battait déjà la chamade, tout autant qu’à l’aube du premier jour. Tiraillée par mille remords, maintes fois j’ai failli rebrousser chemin, l’exaltation du désir a fini par venir à bout de chacun de mes doutes. Mon sang n’a fait qu’un tour, soufflant sur les braises flamboyantes de la déraison.

C’est bien que tu sois là. Raconte moi donc ta vie…

Vertiges, de l’amour.

Catégories : Chroniques