ÉCOUTE QUAND IL PLEUT
« La pluie pose à terre des miroirs à étoiles. » Jules Renard
Subissant l’inéluctable loi de l’attraction terrestre, quelques gouttes de pluie intrépides glissent en liesse sur la surface vitrée, comme une invitation à la mélancolie des jours de traîne. Céleste saveur édulcorée de nos vies calfeutrées à l’intérieur, blotties en catimini au coin du feu qui crépite dans la cheminée. Somnolence désaccordée, bienséance retrouvée.
Tout a coup, plus rien n’a grande importance, au sein de ce refuge confidentiel, le temps semble soudain désuet, débarrassé de son emprise carnassière. Et l’on se surprend à savourer la plénitude de cet instant de solitude avec soi même, ponctué de ces lancinants silences qui en disent bien plus long que n’importe quelle allocution de circonstance.
Alors le dialogue s’installe, minimaliste, intériorisé, cristallisé à l’encontre de territoires secrets, dévoilés au bout du bout de l’évasion effervescente. Ce peu, champ infini d’interstices à la délicatesse de palette d’émotions.
Intrinsèquement qu’en est-il de cet insaisissable personnage aux multiples facettes ? Que sait-on de cet alter égo qui, de temps à autre apparait et transparait dans l’interligne au bout de cette sensation de sentiments retrouvés ? Qu’en est-il de toutes ces attentes, de ces aspirations, de ces convictions, de ces certitudes et de ces errements dans les couloirs du destin ?
La vie qui grésille comme une illusion, dans le collimateur de l’insoupçonné, étreignant la poésie des photomatons. Que faire de ces après-midi de résonance quand se calfeutrent les mots ?
Loin du miroir que chacun se tend au petit matin face à la glace de la salle de bains, le regard intérieur ressemble plus à une épreuve de force qu’à un examen de conscience. Difficile face à face semblable à une rencontre avec un inconnu qui passe dans le brouillard des déchirures. La lumière, crue et blafarde, dévoile les fragilités humaines, entre ferveurs et désenchantements.
Précipitée par les orgies de novembre, voilà que la pluie, redouble d’attention. Si hier le temps était bien plus clément, le gris éméché a remplacé le bleu du ciel, intempéries pour certains, temps pourri pour tant d’autres. La pluie, des cieux précipités, caprice des dieux, bienfaitrice qui lave toute la crasse urbaine et purifie le tourbillon des affronts, tout en faisant la part belle des verdoyantes prairies, des pâturages d’altitude et des intrépides de l’ondée.
Mais qui donc peut bien jouir sans entrave de ces giboulées de précipitations, qui une fois trempé jusqu’aux os exhalent en vous cette senteur de chien mouillé ? Qui donc, sinon impers et parapluies, grenouilles et escargots, futaies et fourrés, arbres et forêts, Gaïa et ses divinités ?
Calé en son for intérieur, le nid se fait aussi douillet qu’une couette de duvet de plumes. Invitation au lâcher pris, à l’écoute de la petite musique intérieure, aux retrouvailles avec cet être cher que l’on malmène de but en blanc sous la contrainte de nos agendas surchargés de ministre à plein temps, prisonniers des rouages internes du temps.
Étendard si rare et si précieux qui nous file entre les doigts sans crier gare, qui fait que la vie file et défile comme un éclair un soir d’orage. Futilité des instants. Entre gloire et désillusion.
Dans l’ardeur de l’âtre rougie, le scintillement des flammes accompagné de cette incomparable senteur de bois consumé, héritage de l’accomplissement des hommes des cavernes. Déployée en augustes arabesques, la fumée s’évanouit sitôt engloutie dans l’immense avaloir de vielles foraines patinées par l’usure des âges.
Au coin du feu, la vie prend une tout autre dimension, comme si enfin l’on s’autorisait le privilège de savourer l’instant fugace de cette rencontre avec la nostalgie de ceux qui bien avant nous, se sont assis autour de ce lieu de vie, de convivialité. Une lueur luit tout là haut, nos hôtes nimbés de lumière.
Au rendez-vous de ces retrouvailles, parents, grands-parents, ascendants, aïeuls et ancêtres d’antan. Autant de fratries rassemblées, autant d’histoires partagées, autant de destinées noir et blanc qui encombrent les albums photos oubliés dans les greniers des masures familiales.
L’intégralité de ce chapelet d’insignifiants qui mis bout à bout reconstitue le puzzle de parcours dissolus, à jeter des passerelles entre les différentes épopées depuis la nuit des temps. Voyage à travers les coulisses à la saveur de souvenirs.
Ombre humide contrainte à durer dans le spectacle de jour, la pluie semble s’être mise sur pause, le temps d’une brève accalmie. Voguant sous les arches, le plafond du ciel redescendu d’une tonalité de gris. En arrière plan, de longs paysages monochromes emmaillotés dans une langue syncopée. Mornes couleurs déteintes sous le lavis de cette aquarelle détrempée. L’image se fige sur ralenti.
Assoiffés de giboulées, de la cime jusqu’à leurs racines, les arbres transpirent de tout leur saoul. Il flotte comme un parfum de nouvelle saison. Faisant fi des contrariétés du temps maussade, quelques piafs intrépides qui s’ébrouent dans la boue des flaques. Tout ceci semble paraître incroyablement romantique.
Juste avant de sombrer dans les replis de la nuit, le jour s’évanouit progressivement dans les alcôves. Trouvant refuge à l’arrière des vitres embuées, la vie en suspension. Peut importe. Gouttes de pluie, belle endormie, belle Ophélie. A la lisière de nos rêves, le voyage peut commencer. Écoute quand il pleut….