ARRIÈRE SAISON
Carpo
La Terre, les racines. A la grâce de l’audace et de l’éloquence des Heures célestes. Et ce chant d’automne qui déploie la tessiture de son œuvre dans l’infini de ces lieux d’enracinement. Filles de Zeus, Thallo et Auxo, s’estompent en demi-teintes, passant le relais à la belle Carpo drapée d’une tunique madrée de splendeurs automnales.
Au travers d’infinies délicatesses de cette douce ritournelle, esquissée sous la plume du poète troubadour du pays de Gascogne, à l’aube revenant, les premières prémices de l’été finissant. Été non conventionnel qui ne fut point au rendez-vous de milliers d’attentes estivales. Frileux, capricieux, un brin timoré, détourné par l’altérité de la morosité silencieuse. Extravagance des maux. Dérobade des saisons. L’équinoxe d’automne est à l’année ce que le crépuscule est à une journée.
Exhortée par le souffle éolien du Dieu des girouettes, une volée d’étourneaux traverse le ciel endommagé, virant au gris pour mieux manifester sa peine. Amas d’agglomérats moutonneux estompant le lyrisme pictural de l’estampe de la mélancolie des crépuscules. Décompte des jours qui s’étiolent dans l’assourdissant silence de l’engloutissement. Finitude d’une déclinaison en mouvement. Précoce décrépitude des rayons du jour engloutis dans l’effroi du néant. Le temps d’une séquence que l’on préfèrerait ne point connaitre. Fin de l’été, en demi-teinte. Esquisse d’une périlleuse traversée.
Tandis que s’achèvent les moissons et que les épis de blé se transforment en ballots et bottes de paille, parsemées au gré de la campagne environnante, d’innombrables parcelles de cultures où la terre creusée ouvre ses sillons de labeur. Sans fausse pudeur annoncée, voilà qu’elle affiche les friches de sa virginité originelle. Terres vierges sans cesse déflorées en proie aux assauts compulsifs de prédateurs mécaniques aux ardeurs pulsionnelles. Parsemées de quelques touches noires et blanches, aigrettes à pattes effilées et corneilles noir corbeau s’y disputent leur butin de fortune, grappillant à tout va fricassées d’insectes et vermisseaux. Spectacle sans fard du monde rural ancré dans cette vérité intime, à l’écart de la furie galopante des citadelles contemporaines.
Jusqu’à perte de vue, où parfois la vision dépasse l’entendement, dans les champs inondés par les ardeurs solaires d’après-midi, les valeureux guerriers du temple du soleil, vertigineux hélianthes d’or, frappées d’héliotropisme aigu, finissent par en perdre la tête. Flétris, marqués par les ravages de la maturation organique, leurs jours ne sont plus que question d’heures avant l’accomplissement de leur cycle éphémère.
Lancés à l’assaut des collines environnantes, en plein cœur des vallons inondés d’ombres et de lumières, les vignobles millénaires étendent leurs tentaculaires ramifications au travers des sols graveleux où aiment s’abandonner les âmes épicuriennes. Gorgées de grappes fructueuses, les ceps de vigne croulent sous le poids de la prochaine récolte. Malgré les cruelles morsures du gel printanier, les vendanges tiennent la promesse du caprice des dieux. Dionysos, dans sa grâce immaculée d’ivresse ne saurait s’en plaindre. In vino veritas !
Passé le temps des moissons, puis celui des vents d’ange, Gaïa, la terre mère nourricière s’octroie un laps de temps de repos amplement mérité. Virant de poussières d’or au pourpre flamboyant, la couverture végétale se pare de mille feux ardents, métamorphosant l’été indien en tonalités d’arrière saison. A même le sol, les premières feuilles gisent à terre, patchwork de tapis végétal. Avec une pointe de sobriété, l’équinoxe s’en vint à poindre, déployant un ineffable sentiment de délicatesse, mettant un terme au renouveau de l’éveil de la Terre.
Soumise à l’inflexible loi divine de la cosmogonie Olympienne, Déméter, en proie à son inconsolable chagrin maternel, s’en retourne à la tragédie de sa destinée. Tandis que dans le fracas des Enfers, Perséphone, d’un air résigné s’enfonce dans les profondeurs souterraines du royaume d’Hadès. Ainsi valsent les saisons, au fil de cette implacable ritournelle.
La Terre, les racines. A la grâce de l’audace et de l’éloquence des Heures célestes.Et ce chant d’automne qui déploie la tessiture de son œuvre dans l’infini de ces lieux d’enracinement. Filles de Zeus, Thallo et Auxo, s’estompent en demi-teintes, passant le relais à la belle Carpo drapée d’une tunique madrée de splendeurs automnales. Une couronne de grappes de raisins et de pampre dentelé, sublime la flamboyance de sa rousse chevelure. Tout en douceur, enveloppée d’une divine mansuétude, elle régente les ardeurs éblouissantes de l’automne aux frondaisons mordorées.
Frénésie du cycle de la vie, ancrée au plus profond de la poésie de l’existence. Avec cette étonnante capacité de transformation et d’adaptation, les Heures, déesses des saisons rythment l’exil du temps, lui offrant l’espace dont lui seul a besoin pour ancrer l’audace et la sagesse de simples mortels dans l’accomplissement de l’œuvre d’une vie. Ainsi s’ouvrent des brèches au fin fond d’un ineffable sentiment d’éternité. Invisibles récits guidés par le pouvoir de la vie.