SUR CES CHEMINS PARSEMÉS DE TRAVERSE

Publié par Vent d'Autan le

« Le soir tombait, Jacques Randel harassé, les jambes brisées, le ventre vide, l’âme en détresse, marchait nu-pieds sur l’herbe au bord du chemin, car il ménageait sa dernière paire de souliers, l’autre n’existant plus depuis longtemps déjà. » Guy de Maupassant- Le vagabond

Certains périples vous mènent par le bout du nez, vous conduisant bon gré mal gré en des endroits tout aussi improbables que la candeur des âmes. Comme si pour s’affranchir des affres de ce quotidien envahissant, il suffisait simplement de passer de l’autre versant des Pyrénées. Sortir du cadre, dépasser les bordures qui vous séquestrent pieds et mains liées dans le ronron du carcan habituel. Partir voir ailleurs, si de côté ci l’herbe y est plus verte et le ciel bien plus bleu. Qui sait, allez donc savoir.

Encore crottés de boue, les godillots de cuir fauve traînaient dans un recoin de l’entrée. Usés jusqu’à la corde, avachis par les kilomètres engloutis à la force des mollets, ils faisaient grise mine, mais pour rien au monde il ne se serait séparé de ces vielles compagnes d’infortune complices de chaque voyage.

Tant de lointains horizons, tant de contrées champêtres, tant de paysages parcourus à user les semelles à la poursuite de lieux suspendus à l’orée du monde. Il avait hâte de repartir à l’assaut de ces chemins de traverse à l’écart de la furia débordant des périphéries citadines. Loin  de la monotonie routinière existait un inextricable réseau de petites routes départementales, de chemins vicinaux, de sentiers abandonnés aux ronciers, de sommets à gravir, de points culminants à embrasser, de nombreux cols à franchir.

Sur le chemin des pèlerins, bourgs et bastides des alentours veillent au grain sur les voyageurs fourbus de fatigue, Et comme à l’accoutumée, chaque soir au terme d’une harassante journée de cheminement à travers monts et vallées, le cœur empli de mansuétude, leur sac à dos n’est plus qu’un simple fardeau déposé au pied de leurs brodequins. Bercés par le chant des étoiles, chaque nuit enveloppe leurs songes du jour. Soirée d’étape au fil de ruelles ceintes de remparts désuets en proie aux courants d’air nocturnes.

Autour d’une enceinte fortifiée, d’une place ombragée, d’un fouillis de ruelles, les petites bastides médiévales dévoilent tour à tour le charme désuet de leur enclos à ces passagers en transit, ivres de la générosité des paysages traversés par les chemins de muletiers et les anciens sentiers de transhumance et de contrebande. Un bien long périple jusqu’aux portes séculaires de Saint Jacques de Compostelle, nimbée de promesses célestes.

Certains, plus courageux ou plus audacieux, continueront bien plus loin, là bas jusqu’aux dernières falaises du littoral qui s’abîment dans les profondeurs de l’océan où les embruns maritimes fouetteront leur peau tannée par les morsures répétées du cagnard espagnol. La course ne s’achève qu’une fois les derniers flancs de montagne dépassés quand les cohortes de nuages poursuivent au loin leur chevauchée.

Au petit matin, après que la nuit ait éparpillé quelques poussières d’étoiles, revigoré d’un souffle nouveau les voilà qui repartent jusqu’à se fondre en ces espaces infinis soudain révélés avec cette évidente fragilité. Nouveau départ, nouvelle traversée pour cette itinérance journalière. Un pas devant l’autre, un allant droit, l’autre allant vers, de hêtraies en chênaies, de cimes altières en sommets vertigineux dans la lueur d’un printemps égaré parmi les brumes.

Voir éclore le jour que l’on attendait plus, comme surgi d’un ailleurs lointain presque tombé dans l’oubli. Prendre le temps, d’un regard nouveau presque enfantin, apprécier la beauté de ce qui nous entoure, suspendue au détour d’un chemin étroit, d’une ruelle escarpée, d’une voie sans issue.

Sur la pointe des pieds, hors des sentiers battus, une échappée belle qui mérite le détour. Itinérance à la poursuite d’un temps que l’on eut cru perdu. Ils vont et ils viennent passants éphémères à flâner au rythme de journées sur le toit panoramique du monde. Pèlerins d’un jour face au contraste de notes boisées mystiques. Il est possible que seul le vent prononce leurs vœux.