MÉLANCOLIE DE LA FIN DES TERRES

Publié par Vent d'Autan le

« Il y a quelque chose d’épique dans tout cela, de l’ordre du combat contre le temps qui passe et qui nous renvoie tous à notre inexorable finitude » Sébastien Sindeu

Ciel de traîne voilé de gros nuages épars, légère brume du ponant au ton clair incertain. Accostant du grand large les vents dominants tournoient au dessus de la côte d’argent contrariant une météo des plus clémente. À flanc de mer, face au phare royal de Cordouan, se jouant de fortes rafales, passant à tire d’aile entre les crêtes des vagues et les vapeurs d’embruns, quelques mélodies décriées par le flux des goélands bruns. Dépression océanique.

Découvert à marée basse l’estran se révèle plage vierge au pied du cordon de dunes, mouvance sablonneuse à la lisière du littoral. Bordée de joncs marins et d’oyats dont la chevelure ondoie sous la caresse du vent, la butte vagabonde déploie sa longue langue de sablon doré.

Retenue par d’infinies longueurs de ganivelles de châtaigner, jusqu’à perte de vue la côte sauvage semble pétrie de cet univers minéral. Aussi loin que porte le regard le ruban de silice qui file le long du trait de côte façonne le mystère de ces immenses étendues sauvages livrées au caprice des tempêtes successives. Érosion naturelle.

Juste après la saison estivale la nature retrouve intacte sa virginité originelle, délestée de toute intrusion humaine. Chaque grain de sable, chaque rayon de soleil, chaque fragment d’embrun participe à sa façon à l’élaboration de ce subtil tableau  dont l’attrait ne saurait gâter l’ébahissement de ce fragment d’instant suspendu.

En quête de pitance les oiseaux viennent y imprimer la trace de leur passage, frêle composition d’une éphémère partition sitôt recouverte par la prochaine déferlante. Sauvage va et vient que cet immuable ballet ponctué par la rythmique des flots. Poésie des embruns.

Au bout de cette étroite langue de terre cernée entre l’immensité de l’océan et le delta de l’estuaire, en de forts remous se mêlent intimement les eaux et les terres arrachées aux berges marécageuses. Par ici, depuis la nuit des temps se déroule cette féroce bataille entre les lames salines de Neptune et les flots du dieu fleuve Garona résistant à l’impétueux mascaret dans le tumulte des ondes de l’embouchure.

À flanc de montagne l’infime ru du Val d’Aran poursuit sa folle cavalcade au travers de cette portion du Sud Ouest, sinuant ses méandres au fil de l’eau accrue par l’abondance des affluents. Ferveur d’équinoxe.

En ces étendues sauvages où s’évader en toute sérénité entre le baume iodé de l’océan et les essences des pins résineux, se manifeste malgré tout cet étrange ressentiment, ce manque cruel de perspective propice au repli sur soi, au retranchement volontaire. Reclus à l’orée du monde, en ce lieu si unique et si singulier où l’on y vit un pan d’existence en autarcie, comme assigné à résidence volontaire sur une île déserte, sans voile ni bateau.

Vu d’ailleurs cela pourrait bien ressembler à une traversée du désert ou à une voie de retraite à fleur d’écume. Quelque chose d’immatériel, sans état d’âme, qui échappe à l’entendement, face cachée de ce territoire secret de la fin des terres. Faux semblant d’un no man’s land abandonné à la ferveur des éléments, le regard fuyant sur l’horizon et l’infini. Blues d’arrière saison.