RIEN QUE DES MOTS
L’écriture est un voyage sensoriel, dissimulé et éparpillé au cœur de rêves de papier. Simple dévotion des maux. Catharsis des profondeurs.
Tout ce qu’il avait pu écrire auparavant, au fil du quotidien de jours d’amertume, était devenu flou, enveloppé dans des lambeaux de brumes diaphanes. Les anciens mots d’hier, caractères d’antan, avaient perdu leur sens primal, au détriment de ceux d’aujourd’hui, synonymes de fraicheur et de candeur éprouvée.
Échappées du cahier à spirale, les pages griffonnées de manière confuse, avaient retrouvé cette blancheur immaculée, prêtes à être effleurée, offertes à la main fragile et hésitante de l’apprenti lyrique, sans rime, ni raisons.
Tout était à refaire, à recomposer, à réinventer. L’essentiel à recommencer, une fois de plus, une fois encore. Au lointain la douleur lancinante de Sisyphe, soumis au perpétuel recommencement, obligé à cet immuable destin des dieux courroucés.
Que d’histoires éventées, éparpillées au gré des temps, envolées aux quatre vents. Quelques bribes de mots volés au détour de magazines de papier glacé, quelques phrases venues chatouiller les oreilles, les sens en ébullition pour capter l’imprévu, pour traquer l’invisible d’une nouvelle épopée à chaque instant éprouvée.
Un mot, quelque peu maladroit, parfois insignifiant, qui claque sur le bout des doigts. Une phrase furtive échappée de son contexte, une contrainte de style et parfois ce vague à l’âme qui revient inlassablement, au retour des marées d’équinoxe. Ce fracas des tumultes qui tempête le tourbillon des oraisons, celui de l’homme enténébré dans ses chers.
Des mots, groupes des sons articulés, porteurs de sens et de significations. Des mots concrets, abstraits, abscons, inaltérables, inviolables. Rien de plus que de simples mots, phrasés arythmiques, alignés comme à la parade, à la queue leu-leu, tels de pauvres filets de sardine comprimés au fond d’une boite de fer blanc.
A mi-mots, ami des mots qui braillent, qui hurlent, qui gesticulent, qui caricaturent et qui en disent long sur cette obsessionnel mutisme à tutoyer le verbe, à singulariser l’écriture, à torturer le phrasé indigent, à vendre son âme au diable jusqu’à la fin des temps conjugués. Passé, présent, futur, imparfait, passé composé, plus que parfais, conditionnel et inconditionnel. Paradigme de l’harmonie grammaticale, cinglante et vivifiante symphonie.
Les mots bien plus forts, bien plus absolus que toute parole donnée. Les mots, païens et convertis, processionnaires de solennelle communion, comme un voyage initiatique à travers le territoire abstrait d’un univers peuplé de solitudes, de résiliences, d’abnégations, de confrontations et d’expérimentations.
Des mots à foison, des mots à profusion, des mots de papier mâché, rabâchés, ressassés, réitérés, bien plus qu’un simple exutoire où s’épanchent extravagance et déraison. Juste le temps fort d’un dialogue improvisé avec l’intimité des tourments de l’âme.
L’écriture est un voyage sensoriel, dissimulé et éparpillé au cœur de rêves de papier. Simple dévotion des maux. Catharsis des profondeurs.