L’astre céleste étirait sa longue chevelure d’or en infinies étendues, repoussant le déclin  du soir jusqu’aux calendes grecques. Sous la baguette du maestro de la galaxie, le crépuscule enflammait les portes des ténèbres nocturnes, où les lueurs évaporées montaient vers le ciel en nappes de brumes.

Ce fût une journée âpre, froide et glaciale, ankylosée dans son pesant de frilosité. Un de ces interminables jours de traîne, imprégné dans la trame de la mémoire collective. Un de ces jours maudits où la terre vous engloutit dans le déluge des cataclysmes, amère journée cauchemardesque, que chacun eût préféré rêver. Une date fatidique, soulignée à l’encre de chine sur l’almanach du facteur.

Il s’était éclipsé au hasard de l’imprévu, sans un mot, sans un au revoir, quelque part du côté du toit du monde, où l’horizon poursuit la courbure de la planète. La nuit tomba à la renverse sous le halo des flaques de lune, laissant place à un étrange silence assourdissant, presque solennel. Un immense courant d’air balayait le vide de l’insoluble au dessus des âmes courroucées. Inconsolables et inconsolés, frappés d’incompréhension, tels des pantins désarticulés, ils erraient sans but, happés par cet intense sentiment d’abandon et cette indicible absence. Pourquoi devaient-ils accepter ce destin qui venait de les frapper de plein fouet, au seuil de leur porte ? Le ciel et les Dieux ne pouvaient-ils point attendre ?

Sur le buffet de la salle à manger, une photo écornée, noir et blanc, que personne n’ose déranger, par simple  pudeur, par peur de troubler, par crainte d’importuner ou d’offenser, avec la hantise de réveiller les vielles douleurs assoupies. Portrait révélateur de celui qui s’en est allé et qui laisse en ces lieux mémoriels, intacte, la postérité d’une vie accomplie. Ici le temps s’est figé, prostré dans l’immobilisme de l’instant.

On dit souvent que le temps est assassin, qu’il finit par effacer les traces les plus ineffables. Mais l’assassin revient toujours sur les lieux de son crime, irrémédiablement, chaque année, à la même date, implacable, celle de l’almanach. Éternelle répétition d’évènements refluant les douleurs les plus intimes dans l’écorchure des plaies  béantes d’effroi. Le souffle glacial de la cruauté de la vie.

 Après des lustres de luttes sans fin et des nuées de lunes sans sommeil, un matin de ciel désenchanté, elle prit la plume pour mettre des mots sur ces affects qui la tourmentaient depuis cette nuit des temps. Sur la page de papier, les mots crissaient l’insolence de cette révolte à demi tue. Elle mettait en verbe tout ce qu’elle n’avait jamais osé exprimer, tout ce qu’elle avait pu refouler au plus profond de son immense chagrin. Les mots coulaient à flots, ininterrompus, dans l’allégresse subtile et sauvage d’une poésie à fleur de peau.

L’écriture la libérait du lourd fardeau de ces années accumulées, à tenir à bout de bras la déchirure et la peine de ses proches, s’oubliant et s’abandonnant dans des abîmes impénétrés et impénétrables. Elle écrivait sans réfléchir pour donner un sens à ce monde incertain, et aussi pour s’extraire de la brume intérieure. Les mots coulaient de source, jaillissant de cette fontaine de jouvence. Quelques mots pour tisser un lien inaliénable, une bouteille à la mer à ce fils perdu, à ce frère adulé dans un coin de l’imaginaire, à cet homme de valeurs et de vertus connu et reconnu de tous, à cet artiste anonyme aux doigts d’argile, à celui parti trop tôt. Des mots chuchotés au creux d’une oreille attentive, posés sur l’écrin blanc de ces nuits blanches à parcourir le ciel, pour dire, pour se dire, pour s’entendre dire et pour sublimer la puissance de cette fraternité.

Son propre dessin enveloppé de mots. L’exaltation de la résilience déposée en catimini, calligraphiée en  langage émotionnel, telle une pieuse offrande au regard de l’autre. Les joues humides de larmes… Libération… Divine !